Le blog
En détails

Prendre soin de son prochain, prendre soin des pauvres

Dans les moments de détresse, quand les soutiens humains font défaut, la Bible rappelle que Dieu prend soin de nous. Mais ce soin divin, reflet de son amour, nous appelle aussi à prendre soin les uns des autres avec humilité, respect et discernement. Pour alimenter ces réflexions, nous avons interrogé deux de nos partenaires chrétiens locaux.

Une jeune fille un homme âgé et un jeune garçon souriant, assis autour d'une table.

Dans le Psaume 27, l’auteur déclare : « Car mon père et ma mère m’abandonnent, mais l’Éternel me recueillera. » (verset 10) Il exprime ainsi sa confiance dans le fait que dans les hypothèses les plus défavorables sur le plan humain Dieu continuera à prendre soin de lui. Mais cette vérité ne le prémunit pas contre les tempêtes et les angoisses. Il y a des moments dans la vie où nous pouvons ressentir ce qui est dit dans un autre Psaume (31.13) : « Je suis comme un objet perdu » ou « un objet hors d’usage », « un plat cassé », « un débris », bref un être dont on n’a pas pris soin. 

Quand le soutien fait défaut ? 

L’une des expériences humaines les plus universelles est sans doute celle de ne pas recevoir le secours désiré au moment où l’on en ressent le plus grand besoin. Le traumatisme est d’autant plus grand quand ce sont ceux qui nous sont le plus chers qui nous font défaut (« mon père et ma mère m’abandonnent ») ou les soutiens que nous aurions cru les plus solides qui s’effondrent. Et lorsque Dieu paraît silencieux, alors nous nous sentons vraiment perdus. La tentation est alors très forte de s’enfermer dans une plainte perpétuelle adressée à Dieu ou aux autres (« Prends soin de moi ! »), ou dans la colère (« Tu aurais dû prendre soin de moi ! ») ou encore de s’endurcir (« Puisque c’est comme cela, je vais me débrouiller tout seul ! »)

Un besoin universel 

Les humains ont besoin de soin ! Dire cela implique de reconnaître notre dépendance et notre vulnérabilité. Dieu nous a conçus comme des êtres qui ont besoin les uns des autres et qui ont besoin de leur Créateur : il est celui en qui nous avons la vie, le mouvement et l’être, qui donne du pain à toute chair, des soins constants duquel dépend tout ce qui existe (cf. Actes 17.28 et Psaume 136.25). 

Quatre personnes réunies, souriantes, en pleine discussion.

Nous sommes fragiles mais c’est l’entrée du péché et de ses conséquences dans le monde qui nous font passer du besoin au manque. Mais dans la Bible, l’annonce de la sentence qui suit la désobéissance est mêlée avec la promesse du salut et le début d’une histoire dans laquelle Dieu continue à prendre soin des humains : il fait à l’homme et à sa femme des habits de peau dont il les revêt. Alors certes il les chasse du jardin d’Éden ce qui laisse attendre bien des drames pour la suite dont même les fidèles ne sont pas épargnés (cf. Genèse 3.15, 21, 22-23). Mais tout au long de l’histoire biblique, il se révèle comme le Dieu de miséricorde. La parabole du berger qui va chercher la brebis perdue jusqu’à ce qu’il la trouve et qui ensuite la met avec joie sur ses épaules et la ramène à la maison (Luc 15.4-7) nous montre comment effectivement, en Jésus, il nous accueille et nous recueille. Le soin de Dieu ne nous fait pas éviter le malheur mais nous préserve en son sein et nous fait aboutir à la délivrance (cf. Psaume 34.20). 

Le Bon Samaritain 

La parabole du Bon Samaritain est peut-être le texte biblique qui vient le plus spontanément à l’esprit en rapport avec le fait de prendre soin. Paulin Ndiadia, de l’organisation congolaise Bana ya Kivuvu, souligne différentes étapes qui toutes méritent notre attention : le Bon Samaritain s’arrête, puis il s’approche, ensuite il soigne, enfin il recommande le blessé à un autre. Paulin Ndiadia commente : « Cela nous montre le cheminement de ce devoir que le Seigneur nous donne à l’égard de notre prochain. »  

Cette parabole peut se lire à la fois comme un appel à prendre soin de notre prochain, à lui prêter attention, à tenir compte de sa fragilité et de tout ce qu’il a déjà subi, et à tâcher de nous occuper de lui du mieux que nous le pouvons (nous devrions être de bons Samaritains) et aussi comme une image de ce que le Christ a fait pour nous (nous sommes le blessé le long du chemin et lui est le Bon Samaritain). Les deux aspects vont d’ailleurs ensemble. L’impératif : « Va, et toi, fais de même. » (Luc 10.37) ne nous dirige pas vers un simple exemple à suivre mais vers un don reçu à partager. 

Image de quatre personnes en train de discuter, dont une, tenant un sac.

Paulin Ndiadia explique aussi que, pour lui, la manière dont les autres ont pris soin de nous représente une source pour notre action. Il raconte comment la façon dont un médecin s’est occupé de lui quand il était enfant a représenté un déclic : « … si quelqu’un a pris de son temps pour s’occuper de moi, moi aussi, un jour, j’aurai l’occasion de m’occuper des plus pauvres. » Il en tire même une observation pleine de nuance pour la lecture du texte biblique : « Celui qui n’a pas vécu la compassion de l’autre en lui n’a pas tout à fait la même motivation que celui qui a aussi reçu quelque chose. […] C’est pour cela que je ne condamne pas le prêtre et le lévite de la parabole : peut-être n’ont-ils pas fait l’expérience en question ? » 

Prendre soin des personnes qui vivent dans la pauvreté... 

La parabole du Bon Samaritain peut aussi attirer notre attention sur cette vérité évidente que certaines personnes ont tout particulièrement besoin que l’on prenne soin d’elles. L’homme blessé a été dépouillé, roué de coups et laissé à demi-mort (cf. Luc 10.30). Il pourrait bien mourir pour de bon s’il ne recevait pas de soins. Diverses catégories de personnes nécessitent une attention spéciale. C’est le cas des personnes qui vivent dans la pauvreté. 

Le fait que le pauvre ait besoin que l’on prenne soin de lui nous confronte à une difficulté : comment éviter que le soin ne dégénère en quelque chose de malsain, établissant une dépendance infantilisante à l’égard de celui qui prend soin ? 

... dans le respect de leur dignité 

Gigo Clément Sagbohan, de l’organisation béninoise Voldeb, martèle sa réponse – qui vaut pour le pauvre comme pour toute personne dont nous prendrions soin : « Quel que soit l’intéressé, il faut respecter sa dignité. […] Celui que j’ai devant moi, mon vis-à-vis, est avant tout à l’image du Seigneur. Je ne peux pas, en voulant lui faire du bien, abuser de lui, le minimiser, le mépriser : mieux vaut ne pas le faire que de le faire de cette façon. […] Si vous ne respectez pas la dignité de la personne, vous ne prenez plus soin. C’est autre chose. » Il précise également : « C’est pour cela que quand quelqu’un refuse qu’on prenne soin de lui, il n’y a rien à forcer. Nous ne pouvons pas entrer dans la vie de quelqu’un sans son consentement. » 

Image d'une femme portant son enfant au dos.

Dans le sens le plus fort du terme, Dieu seul prend soin de ses créatures mais il permet à la créature faite en son image d’offrir à son prochain une image de ce soin et il utilise régulièrement l’action de ses créatures pour prendre soin de nous. 

Un soin empreint d’humilité et de réciprocité 

Ce discernement devrait nous aider à éviter un double écueil : d’une part, la tentation de prendre soin en se posant en sauveur du pauvre, en s’élevant au-dessus de lui ; d’autre part, le refus systématique que quelqu’un d’autre prenne soin de moi – qui pourrait en fin de compte équivaloir à un refus du soin que Dieu veut m’apporter par le moyen de mon prochain. Le mot clé pour la manière dont les humains sont appelés à prendre soin les uns des autres ne serait-il pas humilité : humilité dans l’attitude de celui qui offre le soin et dans celle de celui ou celle qui le reçoit ? D’ailleurs, comme le souligne Françoise Caron, présidente des Associations familiales protestantes, « [l]e soin ne se limite pas à un geste unidirectionnel d’un bienfaiteur envers une personne dans le besoin ; il est empreint d’une réciprocité subtile et profonde ». 

Plus concrètement, Gigo Clément Sagbohan explique que pour prendre soin de ceux qui sont dans le besoin, il faut d’abord s’assurer du fait qu’ils sont vraiment dans le besoin ! Il tranche dans le vif : « Nous ne laissons personne sélectionner à notre place ceux dont nous devons prendre soin. » 

Un soin qui affranchit 

Prendre soin, c’est non seulement protéger ou soigner mais aussi aider à se développer. Commentant cet aspect des choses, G. C. Sagbohan ajoute : « La meilleure façon de le faire est d’apporter une aide qui permette d’aller vraiment de l’avant, de rendre les personnes auxquelles nous nous adressons responsables de leur vie. Nous ne travaillons pas dans la logique de faire en sorte que les gens dépendent de nous. S’il y a urgence, naturellement il faut intervenir. Mais si le problème va revenir de façon récurrente, nous devons mettre en place le mécanisme qui permet à la personne de s’affranchir de nous. Le Seigneur ne nous a pas envoyés pour asservir mais pour affranchir. » Quant à Paulin Ndiadia, il précise : « Quand nous avons une personne qui grandit après avoir bénéficié pendant un temps de nos services, nous essayons vraiment de l’encourager à développer des capacités spirituelles et sociales l’aidant à donner demain ce qu’elle a reçu. Je trouve cela fondamental car cela permet de faire comprendre la grandeur de ce qui a été fait dans sa vie pour le donner aux autres et ne pas le gaspiller.»