« Écologie et souci des pauvres » : penser la création et la solidarité à la lumière de la Bible
Daniel Hillion, Directeur des études au SEL a sorti un petit ouvrage intitulé Écologie et souci des pauvres. Il y propose quelques perspectives bibliques et théologiques sur un sujet d'actualité qui pose beaucoup de questions et fait parfois débat.
SEL : Bonjour Daniel Hillion, vous êtes l’auteur d’un nouveau livre Écologie et souci des pauvres. Qu’est-ce qui a motivé l'écriture de ce livre ?
Daniel Hillion : Les questions écologiques représentent un sujet de société particulièrement important, qui est de plus en plus sous les feux des projecteurs et qui attire l'attention du public. Les personnes qui vivent dans la pauvreté sont souvent particulièrement exposées aux dégradations de l'environnement, qu'il s'agisse de dérèglement climatique, de perte de la biodiversité ou encore de pollution. Travailler sur la question de l'écologie quand on est dans une structure de solidarité internationale comme le SEL c'est quelque chose qui est assez incontournable.
SEL : Quel est le but de ce livre ?
DH : C'est un livre de théologie. Donc le but du livre, c'est de penser le sujet « Écologie et souci des pauvres » à la lumière de la Bible, en l'inscrivant dans un cadre théologique. Finalement il reste beaucoup de travail à faire dans ce domaine, surtout dans le milieu protestant évangélique français. Il y a assez peu de choses qui ont été publiées dans cette perspective. Ce livre s'adresse à des personnes qui ont envie de penser leur foi, par rapport à ces questions d'écologie et d'engagement social. Ce n'est pas un ouvrage de vulgarisation.
SEL : C’est un livre qui est certes théorique mais il est également assez pratique. Diriez-vous qu’il est accessible à un large public ?
DH : J'espère en tout cas avoir fait un effort de clarté dans la manière de le rédiger, d'élaborer les arguments. Le dernier chapitre s’intitule “Des chemins de fidélité pour tous”. J’espère qu’il ouvrira des perspectives pratiques pour chaque lecteur.
SEL : Votre livre cite plusieurs auteurs qui se sont penchées sur la question de l’écologie dans une perspective chrétienne. Comment avez-vous travaillé sur ce livre ?
DH : Effectivement, le livre est pensé en dialogue avec un certain nombre de théologiens ou de penseurs qui ont abordé soit les questions qui sont directement celles dont traite le livre, soit des questions qui sont un peu plus larges mais qui peuvent s'appliquer à la problématique « écologie et souci des pauvres ».
Pour moi, écrire ce livre, c'était essayer de me débattre avec des questions que je me posais et que d'autres avaient pu me poser sur ce sujet, parce qu'il est difficile d'y répondre, qui nous interpellent sur la part de responsabilité que nous avons dans ce qui se passe. Qu'est-ce qu'il est possible de changer ? Que sommes-nous censés faire ? Dans quelle direction est-ce qu'il faudrait aller ? Écrire ce livre, c'était essayer d'apporter une petite contribution à la réflexion et encourager la discussion.
SEL : Le sujet de l'écologie ne fait consensus presque nulle part, et c’est également le cas dans le milieu évangélique. Est-ce que ce livre a aussi vocation à réunir les chrétiens autour de la table pour réapprendre à débattre ou à ne pas être d'accord autour d'un même sujet ?
DH : Oui, tout à fait. Quand on dit que l'écologie est un sujet qui ne fait pas consensus, on peut penser, bien sûr, à ce qu'on appelle parfois le « climato scepticisme » qui peut provoquer des débats très passionnés. Le livre contient une annexe sur “le chrétien évangélique face au consensus scientifique en matière de crise écologique”.
Plus globalement, les sujets en rapport avec écologie et souci des pauvres peuvent nous faire peur. Ils ont à voir avec l’avenir du monde dans lequel nous vivons, ils peuvent nous remettre en question, nous laisser avec beaucoup d’interrogations ou un sentiment d’échec. Quand on ajoute que la manière d’aborder les sujets écologiques et sociaux est liée à notre histoire personnelle, à nos options politiques, à nos convictions profondes sur le monde et à notre mode de vie, on comprend qu’il s’agit de choses que l’on ne peut pas toucher facilement.
SEL : Vous évoquez l'éco-anxiété ou le souci du lendemain qu'on peut avoir quand il s'agit de questions de pauvreté. Qu'est-ce que vous pouvez nous en dire ?
DH : L'un des axes du livre tel que je l'ai pensé, c'est d'essayer de réfléchir les questions liées à l'écologie et à l'engagement social en termes de “grâce commune”. La grâce commune, c'est l'action par laquelle Dieu restreint les effets du mal et du péché et continue à faire du bien à l'ensemble de ses créatures. Elle implique que Dieu fait en sorte que le monde reste globalement vivable. Mais il reste un monde déchu. Cela oblige à réfléchir en termes de compromis, d'acceptation du fait que le monde n'est pas toujours idéal, d'essayer de trouver des solutions de « moindre mal », d'essayer aussi d'imiter Dieu qui continue à faire du bien à ses créatures terrestres. Cela peut passer par la question « qu'est-ce que je peux faire pour freiner le mal et ses conséquences ? » pour essayer de continuer à poser des actes allant dans le sens du bien. C'est une manière d'encourager une attitude réaliste et en même temps résolument active, qui se confie dans la providence de Dieu. Il est bon de se rappeler qu’au-dessus de tout cela, il y a Dieu qui est souverain et qui n'a pas perdu le contrôle, même si nous, parfois, nous avons l'impression que l’on n'y arrive plus.
Face à tous ces enjeux complexes liés à l'écologie et à la situation de celles et ceux qui vivent dans la pauvreté dans le monde aujourd'hui, mon propos est d'encourager une action qui se souvient du fait que nous vivons dans un monde déchu, mais où Dieu est toujours actif, où Dieu continue à faire du bien et pour lequel il a un avenir. Nous pouvons donc agir dans l'espérance. Jésus est venu tout réconcilier avec Dieu, aussi bien ce qui est sur la terre que ce qui est dans les cieux et un jour la création tout entière sera libérée de la servitude de la corruption pour avoir part à la liberté glorieuse des enfants de Dieu (cf. Colossiens 1.20 et Romains 8.21).
SEL : Est-ce qu’à force d'intellectualiser et de poser des concepts, on ne risque pas un peu l'inaction ? Avoir de grandes théories puis finalement ne pas être très actif ?
DH : Il y a effectivement toujours un risque, quand on est dans la réflexion théorique, intellectuelle, théologique, philosophique, sociologique, etc. de dire des choses qui sont quelque peu coupées de la réalité, de l'action et de l'engagement. Je crois que c’est un risque qu’il faut accepter de courir ! Les milieux protestants évangéliques souffrent parfois d’une carence dans la réflexion intellectuelle sur les questions sociales. Dans ce livre, j’ai voulu tracer des grandes lignes, poser un cadre, pour baliser une approche des questions écologiques et de pauvreté dans une perspective chrétienne. Je rajouterais que nous n'avons pas tous la même vocation. Certains ont une vocation de réflexion intellectuelle, théorique, théologique, etc. D'autres ont peut-être une vocation plus activiste, d'autres encore, peut-être une vocation en rapport avec la mise en œuvre de projets concrets, d’autres encore une vocation qui les amènera à s’engager sur le plan politique.
SEL : La notion de “mandat créationnel” joue un rôle important dans ce livre, pourriez-vous la définir ?
DH : C’est une expression qu’on utilise pour désigner la parole du début de la Genèse selon laquelle l'humanité est appelée à être féconde, multiplier, remplir la terre et la soumettre. Dans l'approche que je propose, et je ne suis pas le seul à considérer les choses ainsi, ce mandat créationnel est au fondement de la vie humaine dans la société, du travail, de l'élaboration de la science, des techniques, de l'art, de la culture, etc. Dans le livre, j'essaie de défendre une thèse qui est peut-être un peu contre intuitive. Non seulement le mandat créationnel n'est pas quelque chose qui va à l'encontre d'un engagement écologique et social, mais il peut être un fondement pour cet engagement, alors que certains lecteurs du texte biblique semblent très gênés de ce qu’il parle de « soumettre la terre ». On peut avoir l'impression qu’il faudrait donner beaucoup d'explications pour que ce ne soit pas interprété dans un sens écologiquement irresponsable. Ce que j'essaie de dire, c'est que, non seulement ce n’est pas le cas, mais au contraire, que c'est la base pour l'engagement écologique parce que cela implique que nous avons une certaine mesure de “prise” sur les réalités terrestres qui peut, même après le péché, être vécue de manière positive. C’est peut-être une originalité de l’approche que je propose.