Penser l'action sociale pour mieux la vivre
Marjorie Legendre, présidente de la commission d’éthique protestante évangélique et professeur d’éthique à la Faculté Libre de Théologie Évangélique répond à nos questions sur le dernier ouvrage paru sous sa direction : Pour une éthique sociale évangélique.

Daniel Hillion : Pouvez-vous présenter le livre Pour une éthique sociale évangélique ?
Marjorie Legendre : Ce livre veut modestement pallier un manque relatif du monde évangélique francophone. En effet, les évangéliques ont développé une assez riche action sociale mais elle a été peu pensée.
L’ouvrage pose en introduction un certain nombre de grands principes pour l’éthique sociale d’un point de vue évangélique. Puis nous avons fait appel à une dizaine de contributeurs sur différents thèmes allant de la question de la place de l’éthique sociale dans l’Église à celle de la pauvreté, de l’environnement, du travail, de la parole évangélique dans la société, etc.
DH : Le chapitre introductif propose une sorte de cadre d’ensemble sur l’éthique. Qu’a-t-il à nous dire sur la place du souci des pauvres dans une éthique sociale basée sur la Bible ?
ML : Il y a au moins trois grands principes que l’on peut invoquer à ce sujet.
Il y a d’abord le principe de la dignité de tout être humain car créé en image de Dieu. En lien avec la pauvreté, il faut donc rappeler l’importance de défendre la dignité de ceux et celle pour qui elle est bafouée. C’est particulièrement le cas pour les personnes les plus vulnérables. Les puissants et les riches n’ont pas besoin qu’on défende leur dignité : ils la défendent très bien tout seuls ! En revanche, le pauvre en a besoin. Il ne s’agit pas d’une vision « romantique » des choses : le pauvre est pécheur comme tout un chacun. Mais sa dignité s’impose moins.
Il y a ensuite le principe de la justice qui, dans l’Écriture, est avant tout une justice sociale. On ne peut pas écarter d’un revers de la main tous les appels des prophètes de l’Ancien Testament (par exemple Amos ou le chapitre 58 d’Ésaïe) et du Christ lui-même (dans ses propos contre les Pharisiens) à cette justice sociale. Je discerne à cet égard deux choses principales que les prophètes dénoncent : l’idolâtrie et l’injustice sociale. À mon sens cela s’explique car les deux vont de pair ! En effet, si j’adore mal, je risque fort d’agir mal envers mon prochain. À l’inverse, si j’adore de manière juste, le vrai Dieu, et si je l’aime, cela a un effet positif sur mon action envers mon prochain. Ce n’est ainsi pas sans raison que le Christ lie l’amour de Dieu et du prochain comme allant de pair.
Enfin, le principe de la solidarité. Il est à nouveau lié à notre création en tant qu’image de Dieu. Nous sommes tous frères et sœurs en humanité (ce qui n’est pas la même chose que de penser que nous serions tous frères et sœurs en Christ) et le souci des plus pauvres est donc avant tout un devoir d’humanité qui incombe à tous.
DH : Le chapitre introductif parle aussi du fait que le mal peut prendre une dimension « structurelle ». Qu’est-ce que cela signifie et en quoi est-ce important par rapport aux questions de pauvreté ?
ML : Le texte parle de ce qu’on appelle parfois les « péchés structurels » ou les « péchés de structure ». Il s’agit de péchés qui ne sont pas simplement commis par des individus de manière identifiable. Une accumulation de péchés personnels – car en fin de compte le péché est toujours personnel – va créer des structures ou des systèmes injustes qui acquièrent quasiment une consistance propre et qui perpétuent des injustices dans une sorte de cercle vicieux. Si on s’intéresse aux causes de la pauvreté, on peut identifier de tels systèmes, par exemple la corruption politique.
Face aux systèmes injustes, l’action interpersonnelle, individuelle et locale ne suffit pas. Il faut agir à un échelon plus élevé qui implique des réformes notamment politiques ou du système financier. Je souligne l’intérêt à cet égard des actions de plaidoyer.
Cela étant dit, toute la question est de savoir jusqu’où il est possible de limiter le mal dans ses formes structurelles dans un monde marqué par le péché. Les chrétiens ne seront pas tous d’accord entre eux à ce sujet.
DH : Quels débouchés espérez-vous voir dans la pratique des chrétiens et des Églises de la démarche de ce livre ?
ML : J’espère qu’il sera largement lu ! Et qu’il aidera les chrétiens déjà engagés sur le plan social à mieux structurer et fonder leur pensée et leur action sur les plans théologique et éthique.
Et enfin, j’espère que le livre donnera aussi envie à certains de s’engager !
Pour une éthique sociale évangélique est un ouvrage paru sous la direction de la commission d’éthique protestante évangélique dont Marjorie Legendre est la présidente. Il a été publié en partenariat avec le SEL qui a aussi contribué à son contenu (également disponible dans les librairies chrétiennes).