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Comment Dieu nous aide-t-il à protéger les plus pauvres ?

Les questions en rapport avec les abus, les mauvais traitements et la protection qu’ils appellent sont d’une actualité brûlante aujourd’hui. La Bible apporte une lumière précieuse sur ces questions douloureuses. Essayons de recueillir quelques éléments de son enseignement.

Face aux abus et aux mauvais traitements de toutes sortes, le livre des Psaumes nous donne des mots toujours si actuels ! Le Psalmiste se plaint souvent de l’attaque d’ennemis qui le harcèlent par leurs paroles, qui le guettent pour lui faire du mal, qui sont violents ou rusés, qui trahissent, qui font terriblement peur et donnent envie de s’enfuir, qui provoquent aussi douleur et colère. 

Les personnes qui vivent dans la pauvreté sont caractérisées par leur vulnérabilité : elles ne sont pas systématiquement victimes d’injustices et d’abus mais courent toujours un danger plus grand que la moyenne et auront bien plus de mal à faire respecter leurs droits en cas de problème. Le chapitre 24 du livre de Job comporte des descriptions saisissantes : il parle de bornes déplacées (c’est-à-dire des limites de la propriété qui sont élargies aux dépends du voisin qui n’a pas les moyens de se défendre), du bœuf de la veuve retenu en gage, de l’âne des orphelins qui est emmené ; de violence ; de personnes qui ont un travail harassant, parfois au service du « méchant », mais qui ne peuvent pas en vivre dignement. Ce sont peut-être les catégories de l’exploitation et de l’oppression qui reviennent le plus souvent dans la Bible quand il est question des mauvais traitements dont les pauvres ont besoin d’être délivrés et protégés. 

Le Dieu qui protège et qui délivre 

Dieu est le Dieu des pauvres et de ceux qui souffrent ! Il est une forteresse pour l’opprimé (Psaume 9.10), le Père des orphelins et le défenseur des veuves (68.6). Il délivre le malheureux d’un plus fort que lui, le malheureux et le pauvre de celui qui les dépouille (35.10). Il place dans une position élevée celui qui fait appel à lui pour qu’il soit hors d’atteinte des attaques (61.3). On pourrait multiplier les références montrant que Dieu est le refuge, le rocher, le libérateur, le bouclier, etc. (voir l’accumulation de termes en 18.2-3). Tous ces mots évoquent la protection 

Les textes messianiques incluent aussi la pensée d’un roi qui juge avec justice les pauvres et ceux que l’on écrase (cf. Psaume 72 et Ésaïe 11.4). Le berger promis par Ézéchiel prend soin des brebis alors qu’elles étaient maltraitées et que l’agneau gras profitait de sa force par rapport à l’agneau maigre (34.22, 25, 28). Le Nouveau Testament nous révèle qu’il s’agit de Jésus (cf. Jean 10). 

Le Dieu qui protège s’oppose aux idoles qui servaient généralement une idéologie au bénéfice des plus forts et de ceux qui abusent de leur pouvoir tout en se révélant incapables de sauver dans la détresse.  

Si Dieu protège vraiment : pourquoi y a-t-il tant d’abus ? 

Il n’existe pas de réponse facile à cette question. Les textes que nous avons cités nous disent quelque chose de ce qui caractérise Dieu : il est un Dieu qui protège et qui fait justice. Voilà ce qui correspond au « genre » de Dieu qu’il est. Mais il peut arriver qu’il agisse d’une manière mystérieuse que nous ne pouvons pas sonder. Dans la Bible, les fidèles reconnaissent le problème et l’apportent même devant Dieu. Au-delà des « pourquoi ? » souvent sans réponse, ils demandent : jusques-à quand ? (cf. Psaume 13). Dieu finira par agir de nouveau d’une façon qui correspond à sa manière typique de faire. Il interviendra, il fera justice, il mettra à l’abri, il délivrera. Il viendra un jour où nous reconnaîtrons qu’il n’a été pris en défaut ni dans sa fidélité ni dans sa puissance. La Bible nous laisse entendre d’une part que la foi n’empêche pas la survenue de nombreux jours de détresse et elle nous inculque d’autre part la certitude d’une intervention divine et même la perspective d’un temps où tous les torts seront parfaitement redressés. Elle nous appelle à cultiver l’espérance au milieu des ténèbres. 

Plus encore, l’Écriture place devant nos yeux Jésus maltraité et humilié mais aussi victorieux, vivant pour toujours après être passé par sa passion. Une telle vision ne nous fournit pas l’explication recherchée, elle ne fait pas disparaître la souffrance, la révolte ou l’angoisse. Mais elle est comme une première lumière pour nous soutenir et donner du sens à ce que Dieu demande de nous dans le temps présent. 

Face aux abus et à la maltraitance : ce que Dieu demande de nous 

La Bible contient de nombreux passages concernant les oppressions et avertissant du jugement qu’elles entraîneront immanquablement sur ceux qui les commettent. Jésus lui-même tonne contre les scribes qui dévorent les maisons des veuves tout en faisant pour l’apparence de longues prières (cf. Luc 20.47). Certains textes ne font que déclarer ce qui arrivera aux méchants sans qu’apparaisse un réel espoir de faire évoluer la situation (cf. Jacques 5.1-6). Plus souvent cependant la Bible indique un comportement à adopter à l’égard des personnes vulnérables. Les prophètes, par exemple, invitent le peuple à une démarche de repentance qui va les amener à cesser de faire le mal, à arrêter les abus, à « faire droit à l’orphelin » et à « défendre la veuve » (cf. Ésaïe 1.16-17). 

En annonçant la venue du Messie et de son royaume de justice qui concernera le « peuple humble et faible qui se réfugiera dans le nom de l’Éternel » (cf. Sophonie 3.12), l’Ancien Testament appelle déjà à vivre à sa lumière, à cesser de maltraiter ses subordonnés, à détacher les chaînes de la méchanceté et à dénouer les liens du joug (cf. Ésaïe 58). 

Les prophètes rappellent la loi de Moïse. Or celle-ci contient de nombreuses dispositions « protectrices ». Elle martelait l’importance de ne pas faire tort au pauvre dans son procès et posait toutes sortes de limites aux comportements acceptables à son égard : par exemple, il fallait lui rendre son vêtement le soir s’il avait été pris en gage ce qui lui permettait d’être ainsi protégé contre le froid (Exode 22.25-26). Ce que l’on pouvait prendre en gage et la manière de l’obtenir étaient d’ailleurs aussi encadrés (cf. Deutéronome 24.6, 10-13) : les moyens de gagner sa vie et le domicile (et donc l’honneur, la dignité) devaient être protégés. Le sabbat avait comme l’une de ses raisons d’être de permettre aux plus vulnérables de pouvoir souffler et les protégeait ainsi contre une exploitation excessive (cf. Exode 23.10-12). 

Un point qui interpelle lorsque l’on considère de près la loi de Moïse est qu’elle combine un grand souci des personnes les plus vulnérables avec un réalisme assez dur sur ce qui est réellement atteignable dans ce monde. Elle inculque le principe de la dignité de tout être humain sans être « maximaliste » dans l’application : chercher la protection de ceux qui vivent dans la pauvreté oblige souvent à accepter des situations qui sont en dessous de l’idéal mais pousse à lutter contre ce qui est le plus inacceptable et à rechercher les prochains pas qui sont possibles dans la bonne direction. 

Les autorités politiques et judiciaires sont appelées à rendre la justice ce qui implique de faire droit aux faibles et de libérer les pauvres (cf. Psaume 82). L’image du berger déjà évoquée est caractéristique de la conception biblique du roi qui fait paître le troupeau et protège les brebis, notamment les plus faibles. Mais c’est aussi tout un chacun qui est appelé à pratiquer la justice et à se soucier de ceux que l’on opprime. Cela commence au sein de la famille. Or on sait que le foyer peut malheureusement être le lieu des pires abus. Il est significatif que dans les instructions données par l’apôtre Paul aux pères par rapport à leurs enfants, il est précisé qu’ils ne doivent pas les irriter de peur qu’ils ne se découragent (Colossiens 3.21). La prise au sérieux de cette parole pourrait aller loin sur le chemin du refus des abus psychologiques et émotionnels. De même l’apôtre commande aux maris d’aimer leur femme et de ne pas s’aigrir contre elle (Colossiens 3.19). Les violences conjugales sont diamétralement opposées aux exigences qu’un texte comme Éphésiens 5.21-33 inculque aux conjoints. Les mêmes passages rappellent aux maîtres qu’eux aussi ont un Maître dans le ciel ce qui doit les inciter à agir de façon juste et équitable et à s’abstenir de menaces (cf. Colossiens 4.1 et Éphésiens 6.9). Dans tous ces types de relations, c’est le modèle de Jésus qui doit nous guider et il nous fait résolument tourner le dos aux abus. 

Si l’on remonte des instructions aux principes, il faut parler de la création en image de Dieu. Il existe une dignité inaliénable avec laquelle chaque être humain est créé : la Bible le montre en liant l’interdiction du meurtre et même la réprobation des malédictions avec cette vérité théologique fondamentale (cf. Genèse 9.7 et Jacques 3.9). Le livre des Proverbes fait jouer la logique de l’image de Dieu dans le comportement à l’égard du pauvre et la condamnation de l’oppression (abus) à son égard (Proverbes 14.31, 17.5 et 19.17). Même après la chute, l’image de Dieu subsiste. Il faut seulement préciser que les conditions de vie dans un monde déchu ne permettent pas d’envisager une protection parfaite. La venue de Jésus dans notre humanité et l’appel de tous au salut devraient renouveler notre engagement à aimer celui que Dieu place sur notre chemin quel qu’il soit. 

Pour aller un peu plus loin 

Si l’on prend un peu de recul pour méditer sur le sujet de la protection à la lumière de la création, de la chute et de la rédemption, on peut esquisser quelques réflexions supplémentaires. 

Darby Strickland affirme : 

Pour comprendre comment aider nous devons comprendre ce qui est à la racine. Les oppresseurs usurpent la place de Dieu et vivent leur vie comme s’ils étaient la personne qui doit être adorée et obéie. Ils se débattent avec le sentiment profond que tout leur est dû et qu’ils devraient être l’objet du souci et du soin des autres. Quand leurs attentes sont déçues, les oppresseurs rétorquent en punissant et en attaquant. Ceux qui commettent des abus sont prêts à blesser les autres pour garder le pouvoir et le contrôle.[1]

Si l’on adopte cette perspective, ceux qui commettent des abus sont des personnes qui usurpent la place de Dieu : dire cela n’implique pas que Dieu commettrait des abus mais simplement nous ne sommes « que » l’image de Dieu et que lorsque nous prétendons être davantage nous nous faisons illusion et nous n’avons pas les moyens de nos ambitions. Nous ne pouvons nous absolutiser nous-mêmes qu’aux dépends des autres. 

Si le péché qui consiste à se prendre pour Dieu se trouve à la racine des abus, l’Évangile parle de grâce, de pardon et de restauration, y compris pour des personnes qui se sont rendues coupables d’abus. Il faut reconnaître qu’il existe aujourd’hui tout un courant qui divise l’humanité en oppresseurs et opprimés avec peu ou pas d’espoir de rédemption, de restauration ou de réintégration sociale pour les oppresseurs. Nous devons redire que Jésus nous appelle au pardon des offenses et à l’amour de l’ennemi ! Il proclame que tout péché et tout blasphème seront pardonnés aux hommes – sauf le péché contre le Saint-Esprit qui ne consiste pas dans le type d’abus dont nous parlons dans cet article (cf. Matthieu 12.31, 5.43-48, 6.14-15). 

Pourtant, le thème du pardon est souvent mal compris dans l’Église : d’un côté, il arrive que l’on se montre excessivement sévère à l’égard des pécheurs. Le danger d’une religion des œuvres dans laquelle on rejette à vie certaines personnes dans le camp des pécheurs est toujours présent. Mais d’un autre côté, il faut dire que le pardon n’implique pas nécessairement le retour à la situation antérieure à la faute. Au contraire, certains péchés nécessitent de prendre acte du fait que celui qui les a commis est si fragile face à certaines tentations qu’il faut le séparer définitivement de certaines personnes qui pourraient être victimes d’une rechute ultérieure, qu’il n’a pas la maturité nécessaire pour exercer une responsabilité dans l’Église, qu’il faut l’accompagner dans une démarche consistant à assumer le caractère pénal de son crime ou de son délit devant un tribunal humain. Soulignons en particulier que, lorsqu’un abus relève de la sphère de compétence des autorités civiles, la loi doit s’appliquer que le coupable soit chrétien ou non, repentant ou pas. L’Église n’a pas le droit de prendre sur elle de « laver son linge sale en famille ». 

Le sujet des abus est particulièrement lourd, sombre, terrible. Il peut sembler décourageant au point de nous laisser contempler des champs de ruines sans espoir de reconstruction. Pourtant la vision biblique est autre. Sans jamais minimiser le péché ni ses conséquences, sans nous permettre de percer le mystère de l’horreur de l’abus, elle nous conduit à dire que le mal subi mais aussi commis ne représentent jamais le dernier mot sur une situation – et cela non pas parce qu’il ne serait pas si grave que cela mais parce que le dernier mot appartient toujours à Dieu. C’est ce que nous apprend le dénouement de l’histoire de Joseph (Genèse 45.1-8 et 50.15-21). C’est aussi le message de la croix. Parce que le Seigneur est le premier et le dernier, parce qu’il était mort mais qu’il est maintenant vivant aux siècles des siècles, il y a de l’espérance face aux abus. 

En savoir plus sur l'auteur
Daniel Hillion
Directeur des études au SEL
  • [1] Dans Becoming a Church that cares well for the Abused, Brad HAMBRICK, General Editor, Nashvill, B&H Publishing, 2019, p.118.