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Du cri pour la justice à l’engagement au SEL

Patrick Guiborat, Directeur Général du SEL, revient sur son cheminement personnel, de son indignation face à l’injustice à son engagement au sein de l’association. Entre foi, responsabilité et action concrète, il fait part de sa vision d’une solidarité chrétienne ancrée dans l’Évangile et au service des plus démunis.

Le texte que vous allez lire est tiré et adapté de différents entretiens enregistrés pour l’émission La Rue du SEL. Il a été relu et précisé par Patrick Guiborat. 

Comment en êtes-vous venu aux questions de solidarité ? 

Cela a eu lieu quand j’avais 12-13 ans avec la télévision qui tout à coup nous ouvrait un monde totalement inconnu que nous ne pouvions pas imaginer : voir des situations de famine dramatiques dans le monde, des enfants dénutris, etc. Même le fait de regarder certains films documentaires présentant ce qui se passait lors de la révolution industrielle, comme l’exploitation des enfants, a vraiment provoqué un choc pour moi. J’ai été bouleversé et je me suis senti complètement démuni. Ne connaissant pas Dieu, je me suis tourné vers ce que j’appelais la « Justice » : je me revois encore crier silencieusement à cette Justice inconnue. Ce choc initial a été le point de départ pour beaucoup de choses qui se sont produites dans la suite. 

Comment passe-t-on de crier à la Justice à crier à Dieu ? 

Je crois que c’est Dieu qui m’a rejoint par un ensemble de circonstances. Grâce à un professeur de guitare devenu depuis peu chrétien, et en lisant les Évangiles, j’ai été touché par Dieu. Je pense notamment au sermon sur la montagne, au chapitre 5 de l’Évangile selon Matthieu qui parle de la perfection de Dieu. Le meurtrier peut être condamné mais celui qui dit « insensé » à son frère est aussi condamnable. Dieu fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants et nous appelle à être parfaits comme lui. Cela m’a complètement retourné. J’ai reconnu que l’injustice n’était pas seulement à l’extérieur mais qu’elle était aussi ancrée au plus profond de mon cœur. 

Qu’est-ce qui a motivé votre engagement au SEL ? 

C’est au cours du premier Centre Évangélique auquel j’ai assisté en 1982 que j’ai entendu une annonce d’un responsable du SEL parlant de la pauvreté dans le monde, sujet qui me semblait alors assez ignoré en milieu évangélique, du peu que j’en connaissais. Cela m’a intrigué et j’ai ainsi fait la connaissance du SEL. Cela a été une révélation : je pouvais vraiment être chrétien évangélique et m’engager dans ce type de combat et exprimer ma propre sensibilité. Cela rejoint ce que je trouve dans l’épître de Jacques et dans tant d’autres textes bibliques : si nous voulons être cohérents en tant que chrétiens, il faut vivre intégralement le message de la Parole de Dieu - être, faire et dire, comme vivait Jésus. Je me réjouis du fait que dans le monde évangélique d’aujourd’hui la préoccupation sociale ait grandi. 

Pouvez-vous rappeler quelle a été l’origine du SEL ? 

Le SEL est né en 1980 au sein de l’Alliance Évangélique Française (qui est devenue le CNEF en 2010). Celle-ci avait depuis quelque temps un fonds d’entraide présidé par le pasteur Gauthier de Smidt. Mais deux facteurs ont poussé à une structuration en commission puis en association : d’une part des demandes d’aide venant de chrétiens ou d’associations, en Afrique francophone principalement, et d’autre part de chrétiens en France qui voulaient apporter un soutien face aux malheurs du monde mais avec l’optique que cela ait aussi un sens spirituel. Avec l’aide d’une association britannique, Tearfund, et d’un certain nombre d’églises, notamment Églises Évangéliques Libres, le SEL de l’Alliance Évangélique a démarré, et avec une première embauche. 

Et aujourd’hui que fait le SEL ? 

Le parrainage d’enfants, les projets de développement communautaire et le secours d’urgence, c’est la base ! C’est ce que les fondateurs ont posé et c’est ce qui change concrètement la vie de milliers de personnes.  

Au fil du temps, j’ai voulu rajouter à la communication pour ces actions la dimension de la sensibilisation, voire du plaidoyer, en rapport avec des problématiques actuelles. Une des spécificités du SEL, c’est de vouloir être ancré dans la Parole de Dieu et de faire en sorte qu’au-delà du soutien à ce que font les partenaires locaux sur le terrain, ici aussi nous puissions prendre conscience de nos responsabilités par rapport à la pauvreté extrême qui existe dans le monde, et en dégagions des pistes d’action (style de vie, consommation, plaidoyer). 

Quel est l’ADN essentiel du SEL ? 

Nous avons dégagé il y a quelques années 4 mots clés : pauvreté, chrétien, responsabilité et partenaire. Concernant les structures chrétiennes locales que nous soutenons, la notion de partenariat nous parle de respect à leur égard et de ne pas prendre leur place. Tout en cherchant des ressources pour les projets dont ils sont responsables, et vivant des liens fraternels entre nous, gardons cette « distance » et ce respect pour des chrétiens d’autres pays et d’autres cultures, qui sont en première ligne face aux drames de la pauvreté. 

Quels sont les défis qu’il faut relever dans ce mode de travail avec des partenaires locaux ? 

Nous voulons vraiment vivre une saine relation partenariale, et notre objectif est d’être à leur écoute et à leur côté dans leurs projets. Ils vivent dans un contexte de pauvreté, ce sont eux qui ont été, sont et resteront en contact avec les personnes vulnérables. En tant que professionnels, ils sont les plus à même de connaître les vrais besoins, et comment y remédier – sel et lumière avec leurs prochains immédiats. Un défi est donc de ne pas interférer dans leurs choix et leurs projets, ni dans leurs responsabilités, ce qui n’empêche pas non plus des relations franches et fraternelles, et une redevabilité mutuelle. 

Un point sur lequel je voudrais insister est que notre démarche ne veut pas être en « top-down ». Par exemple depuis quelque temps, nous améliorons les procédures à plusieurs niveaux : pour la protection des personnes vulnérables et notamment des enfants, ou pour tout ce qui touche aux finances. Il s’agit notamment de prévenir et de faire face à d’éventuels abus. Le SEL de son côté cherche à s’améliorer, en même temps nos partenaires sont aussi sensibilisés, il y a des formations, des outils, des possibilités d’alerte, etc. et nous sommes ensemble en train de progresser chacun dans ses responsabilités et à son échelon de la chaîne de solidarité que nous formons. Ces problématiques nous concernent tous au-delà des différences culturelles ! 

Quelle est la spécificité chrétienne des actions soutenues par le SEL ? 

Nous travaillons avec des partenaires locaux chrétiens qui aident ceux qui sont autour d’eux sans faire de discrimination et qui sont aussi porteurs de la Parole de l’Évangile. Or c’est une Parole qui, par l’Esprit, transforme de l’intérieur les individus et les communautés – c’est le sens de la mission intégrale : être, faire et dire comme Jésus. Lorsque les circonstances deviennent de plus en plus dramatiques et difficiles comme c’est le cas depuis plusieurs années (crise sanitaire, conflits, renchérissement de la vie, crise climatique…), je me dis que si je n’étais pas dans une association associée à l’espérance je me demanderais ce qui reste de tout le travail de lutte contre la pauvreté. Mais grâce à Dieu et à l’Évangile, il y a un impact immédiat et aussi éternel qui reste. 

Y a-t-il un texte biblique qui vous guide ? 

Plusieurs ! Mais ces derniers temps je suis marqué par Jérémie 9.22-23 : « Que le sage ne se glorifie pas de sa sagesse, que le fort ne se glorifie pas de sa force, que le riche ne se glorifie pas de sa richesse. Mais que celui qui veut se glorifier se glorifie d’avoir de l’intelligence et de me connaître, de savoir que je suis l’Éternel, qui exerce la bienveillance, le droit et la justice sur la terre ; car c’est à cela que je prends plaisir, – oracle de l’Éternel. » Connaître le Seigneur, le Maître de l’univers, c’est savoir qu’il prend plaisir à l’exercice de la bienveillance, du droit et de la justice sur la terre ! Ça en dit long sur la nature du Seigneur qui a en horreur le mal mais qui aime la justice et la miséricorde. Cela touche le cœur de Dieu. Et en rebond et prolongement, je mentionnerai ce verset bien connu : « On t'a fait connaître, ô homme, ce qui est bien ; et ce que l'Éternel demande de toi, c'est que tu pratiques la justice, que tu aimes la miséricorde, et que tu marches humblement avec ton Dieu. » (Michée 6.8) C’est la réponse au plaisir de Dieu pour la justice et la miséricorde : ce que le Seigneur demande de toi, c’est ce que Dieu aime ! 

Quelle prière ou mot d’envoi formuleriez-vous pour David Alonso, votre successeur ? 

Qu’il soit lui-même, et à l’écoute du Seigneur ; qu’il profite de toute la richesse des personnes qui sont autour de lui, de l’équipe, du conseil d’administration, des chrétiens que l’on rencontre dans différents cadres, de l’Église – et bien sûr de nos précieux et incontournables partenaires qui œuvrent quotidiennement contre la pauvreté. 

Que rêveriez-vous pour le SEL dans 10 ans ? 

J’ai beaucoup porté le Défi Michée qui regroupait sensibilisation et plaidoyer. Je pense que dans les années à venir il pourrait de nouveau y avoir une place pour ce type de mouvement. Ce ne serait pas forcément le SEL – mais le SEL pourrait y être impliqué. 

Nous travaillons avec des partenaires locaux. Ce sont aussi eux qui nous font part de là où il faudrait aller ! Nous sommes également dans des alliances internationales qui nous tirent vers le haut : le réseau Compassion et la famille Tearfund principalement. Que le SEL soit à sa place, sur ses fondamentaux et dans un ensemble plus large.