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Deuxième vie, deuxième chance

Jean-Marc Semoulin est président du collectif ASAH dont le SEL fait partie. Également directeur de La Gerbe, il nous parle de cette association chrétienne entre ressourcerie, envois de convois dans les pays de l’Est et accompagnement de personnes en grande précarité.

Photo de Jean-Marc Semoulin.

SEL : Pourriez-vous nous présenter la Gerbe ? 

Jean-Marc Semoulin : La Gerbe est une association humanitaire qui a vu le jour en , lors de la crise en Yougoslavie. À l'époque, nous pensions que ce serait une initiative temporaire pour répondre à cette crise spécifique, mais elle s'est finalement inscrite dans la durée. Par la suite, nous avons réalisé que l'aide n'était pas seulement nécessaire à l'international, mais aussi localement. C'est ainsi que nous avons mis en place un chantier d'insertion par l'humanitaire. Nous accueillons des personnes sortant de prison, des réfugiés, ou encore des jeunes issus de quartiers difficiles, des personnes très éloignées du monde du travail, pour les employer sur une période de six mois à deux ans maximum. Pendant ce temps, ils nous aident à préparer les convois humanitaires tout en retrouvant progressivement le chemin de l'emploi. Parallèlement, nous avons ouvert une ressourcerie. Aujourd'hui, notre structure compte douze salariés permanents et quarante salariés en insertion. 

Pourriez-vous nous expliquer ce qu'est une ressourcerie ? 

JMS : C’est un lieu où tout objet encore utilisable dans une maison, au lieu d'être jeté à la déchetterie, peut être déposé pour être réutilisé. Il y a de nombreuse ressourceries en France, et leur but est de donner une seconde vie à ces objets. Chez nous, nous avons intégré ce concept sous le slogan : "Donner une deuxième vie aux objets, une deuxième chance aux hommes." Une grande partie des objets que nous recevons est envoyée à des fins humanitaires. Pour donner une idée, nous recevons en moyenne trois tonnes de marchandises par jour, qui sont triées, nettoyées, et reconditionnées. Une partie est vendue localement, et une autre part en aide humanitaire. En moyenne, nous envoyons un semi-remorque toutes les trois semaines à des partenaires chrétiens, principalement dans les pays de l'Est. 

Vous parlez des jeunes en insertion avec lesquels vous travaillez. Vous les aidez beaucoup, mais eux aussi… 

JMS : Oui ! Pour moi, la parabole du Bon Samaritain est une clef. On pense souvent qu'elle nous appelle à aider celui qui est à terre, mais en réalité, Jésus pose la question autrement : "Qui est le prochain de celui qui est par terre ?" La réponse est "celui qui l'a aidé", et dans le contexte de la parabole, il s'agit d'un Samaritain, une personne méprisée par les Juifs. Cela m'a interpellé : pour que quelqu'un devienne mon prochain, il faut qu'il m'aide. Dans notre structure, les personnes en insertion arrivent souvent avec leurs problèmes, mais nous leur disons que leurs problèmes ne nous « intéressent pas » : nous avons besoin de leur aide pour charger les camions, préparer les convois, et si elles font ce travail, nous les rémunérons, ce qui peut les aider à sortir de leurs difficultés. Ce besoin mutuel crée une utilité pour eux, et cela les aide à se reconstruire. Tout notre quotidien est lié à leur travail. Nous essayons de professionnaliser au maximum leur action pour que cela ressemble le plus possible à un véritable emploi, ce qui rend ensuite la transition vers une entreprise plus facile pour eux. Nous avons réellement besoin d'eux, ce n'est pas simplement un atelier occupationnel. Leur contribution est essentielle pour nous, et cela fait vraiment la différence au niveau relationnel. À la fin de leur parcours, ils nous remercient, mais en réalité, c'est eux qui nous ont aidés ! 

Auriez-vous des exemples de parcours qui vous ont particulièrement touché ? 

JMS : Oui, beaucoup ! Par exemple, une personne venue d'Érythrée, qui a traversé la Méditerranée en bateau gonflable. Parmi les trois bateaux partis ensemble, deux ont coulé, et même dans le sien, il y a eu des morts. Un jour, un conteneur est arrivé pour un envoi en Afrique, et cette personne s'est effondrée en le voyant. Elle nous a ensuite expliqué qu'elle avait traversé toute la Turquie enfermée dans un conteneur similaire, empilée avec d'autres personnes, dans des conditions inhumaines. C'était un traumatisme énorme pour elle. Nous avons aussi eu un jeune musulman qui, à 14 ans, a accidentellement mis le feu à une mosquée en rechargeant la cheminée. Sa vie a basculé en une journée, et il a dû fuir son pays. Ces histoires montrent à quel point la vie peut changer brutalement, et la résilience dont ces personnes font preuve est incroyable. 

Avez-vous rencontré des difficultés au cours de votre engagement ? Si oui, comment les avez-vous surmontées ? 

JMS : Oui, nous avons rencontré de nombreuses difficultés, et c'est encore le cas. Chaque défi peut être vu soit comme une raison d'abandonner, soit comme une opportunité de se réinventer. Par exemple, à nos débuts, nous étions uniquement sur l'humanitaire international. Un jour, notre camion a été incendié. J'ai écrit une lettre dans la presse, invitant l'incendiaire à venir boire un café chez nous pour discuter de son acte. Suite à cela, des structures d'insertion nous ont contactés en proposant de nous envoyer des jeunes qui brûlaient des voitures, pour qu'ils viennent discuter avec nous. C'est ainsi que l'insertion a commencé chez nous. Au lieu de baisser les bras, nous avons transformé cette épreuve en nouvelle opportunité. De même, quand nous avons découvert que la communauté d'agglomération voulait ouvrir une ressourcerie, nous avons décidé de répondre à l'appel à projet et de nous transformer en ressourcerie nous-mêmes, malgré les défis financiers. Chaque difficulté a été l'occasion de repenser notre action et de l'améliorer. 

Cela fait plus de 30 ans que vous êtes engagé dans ces initiatives. Qu'est-ce qui vous motive encore après tout ce temps ? 

JMS : Mon moteur a toujours été la foi. Il ne s'agit pas seulement de croire à une idéologie, mais de vivre cette foi au quotidien. Souvent, on fait comme un ping-pong avec Dieu : on lui demande de faire des choses, alors que c'est nous qu'il appelle à agir. Par exemple, on prie pour que Dieu donne à manger à ceux qui ont faim, mais dans la Bible, il est écrit : "Donnez-leur vous-mêmes à manger." Nous devons écouter ce que Dieu nous demande de faire, et le faire, car aujourd'hui, nous sommes ses mains et ses pieds sur terre. C'est important de comprendre que Dieu ne fera pas à notre place ce qu'il nous a confié. 

Pour découvrir son parcours et en savoir plus sur sa vision inspirante de la solidarité, regardez dès maintenant :

La Rue du SEL - Jean-Marc Semoulin