Parole de Jésus n°3 : « Heureux vous qui êtes pauvres… »
Les évangiles rapportent 6 paroles de Jésus à propos des "pauvres". Dans cette série, différents auteurs proposent des pistes de réflexion sur ces passages.
Les évangiles rapportent 6 paroles de Jésus à propos des « pauvres ». Dans cette série, différents auteurs proposent des pistes de réflexion sur ces passages. Ce texte a été écrit par Nicolas Fouquet, chargé de mission « éducation au développement » au SEL, et Daniel Hillion, responsable des relations avec les églises au SEL.
« Heureux ceux qui reconnaissent leur pauvreté spirituelle, car le royaume des cieux leur appartient ! » – Matthieu 5.3 (SG21)
« Heureux vous qui êtes pauvres, car le royaume de Dieu est à vous ! » – Luc 6.20 (SG21)
Texte bien connu des Évangiles, les béatitudes s’ouvrent – chez Matthieu comme chez Luc – sur une bénédiction dont les « pauvres » sont au bénéfice. Et quelle bénédiction puisque Jésus ne leur promet pas moins que l’accès au royaume des cieux ! Mais de quels pauvres parlent ces textes ? S’agit-il de pauvreté spirituelle comme l’évoque Matthieu, de pauvreté matérielle comme le laisserait entendre le passage de Luc ou bien des deux ?
La pauvreté matérielle n’est pas bonne en elle-même
Les béatitudes présentent des paradoxes : spontanément, nous pensons qu’être pauvre, pleurer ou avoir faim sont des malheurs – et nous avons raison ! Et pourtant Jésus parle d’un bonheur qui, au moins dans certains cas, s’attache à ces situations.
Comprendre que la pauvreté matérielle est une condition nécessaire et suffisante pour se voir promettre la vie éternelle serait une impasse à la lumière de l’enseignement global des Écritures. En poussant cette logique jusqu’à l’absurde, on aboutirait même à penser qu’il vaudrait mieux devenir pauvre soi-même qu’aider les pauvres. Non, le salut ne dépend pas de ce que l’on fait ou de ce que l’on a (ou n’a pas) mais il est un don de Dieu pour ceux qui placent en lui leur confiance. Face à ce constat, on pourrait alors être tenté de « spiritualiser » le verset de l’Évangile de Luc et de n’y voir – en utilisant la formulation du texte de Matthieu – que des « pauvres en esprit ».
Une dimension matérielle pourtant présente
Seulement, d’autres textes bibliques montrent que Jésus et ses disciples avaient des choses à dire sur le lien entre richesses matérielles, pauvreté matérielle et entrée dans le royaume de Dieu. On lit ainsi dans les Écritures que Dieu a choisi les pauvres selon le monde pour qu’ils soient riches en la foi et héritiers du royaume qu’il a promis à ceux qui l’aiment (Jacques 2.5) et qu’il est difficile à un riche d’entrer dans le royaume des cieux (Matthieu 19.24). Peut-on dès lors complètement « spiritualiser » la première béatitude ? Le théologien français Jacques Buchhold met en garde contre un raccourci qui pourrait être un peu rapide. Traitant des béatitudes de l’Évangile de Luc lors d’un colloque à la faculté de théologie de Vaux-sur-Seine, il affirme ainsi qu’« il serait profondément erroné de « spiritualiser » l’enseignement de ces versets pour en neutraliser la portée sociale ».
Une correspondance de sens
Dès lors, comment concilier ces deux approches ? Pour Craig Blomberg, un spécialiste du Nouveau Testament, « il n’y a pas de contradiction entre Matthieu et Luc ; chacun met en avant un aspect différent d’un mot qui a à la fois une dimension matérielle et spirituelle ».
Reconnaissons que la parole de Jésus reste difficile à interpréter. Quelques éclaircissements peuvent nous aider à progresser :
- On peut penser que la vérité la plus essentielle dans la parole de Jésus consiste dans le fait de reconnaître sa dépendance à l’égard de Dieu. Devant Dieu, nous sommes tous pauvres et nous avons tous besoin de le reconnaître.
- Le professeur de Nouveau Testament, Samuel Bénétreau, soulignait que « dans l’Ancien Testament, et à un moindre degré dans le Nouveau Testament, la pauvreté économique et l’humilité vont de pair, comme la richesse et l’orgueil ». Ce n’est pas une règle sans exception, mais on peut se souvenir que Paul a écrit : « … il n’y a parmi vous ni beaucoup de sages selon la chair, ni beaucoup de puissants, ni beaucoup de nobles. Mais Dieu a choisi les choses folles du monde pour confondre les sages ; Dieu a choisi les choses faibles du monde pour confondre les fortes ; Dieu a choisi les choses viles du monde, celles qu’on méprise, celles qui ne sont pas, pour réduire à rien celles qui sont… » (1 Corinthiens 1.26-28. Version Colombe.)
« Heureux vous les pauvres, car le royaume de Dieu est à vous ! » / « Heureux les pauvres en esprit, car le royaume de Dieu est à eux ! » Ces paroles ne s’appliquent pas uniquement à des personnes matériellement pauvres car, avec Martin Luther, chacun de nous peut confesser : « Nous sommes tous des mendiants, c’est ça la vérité ! » Mais reconnaissons aussi que ces paroles s’appliquent particulièrement bien au pauvre (sur le plan matériel et social) qui dans sa pauvreté se tourne vers le Seigneur.
Les paroles de Jésus peuvent aussi changer notre regard et notre façon d’agir à l’égard de ceux qui sont humainement le plus abandonné. Dieu se plaît à transformer les situations de malheur en occasions de bénédiction. Et si nous l’imitions ?