Parole de Jésus n°1 : « Vous avez toujours les pauvres avec vous »
Les évangiles rapportent 6 paroles de Jésus à propos des "pauvres". Dans cette série, différents auteurs proposent des pistes de réflexion sur ces passages.
Les évangiles rapportent 6 paroles de Jésus à propos des « pauvres ». Dans cette série, différents auteurs proposent des pistes de réflexion sur ces passages. Ce texte a été écrit par Thomas Poëtte, pasteur d’une Église de la fédération baptiste à Marseille et auteur sur le blog Point-Théo.
La solidarité est un thème présent dans toute la Bible. Il suffit d’avoir ouvert la Bible une ou deux fois dans sa vie pour s’en être rendu compte. Mais il y a un ou deux textes qui semblent, à première vue en tout cas, relativiser cet appel général à la solidarité. Je pense par exemple à l’histoire de Marthe et Marie en Luc. Marthe accueille Jésus dans sa maison et s’affaire dans tous les sens pour cuisiner, préparer la maison, etc. Marie, elle, reste au pied de Jésus pour l’écouter, sans rien faire. Et Jésus dit que c’est Marie qui a choisi la meilleure part. Et il y a aussi ce texte où Jésus dit « vous avez toujours les pauvres avec vous, mais moi vous ne m’avez pas toujours ».
Certains prennent plaisir à citer ce genre de textes pour dire « la solidarité, oui, mais pas trop. Ce qui compte, c’est Jésus ». Est-ce avoir bien compris ces textes que de les citer ainsi ? J’aimerais méditer d’un peu plus près le deuxième texte mentionné : « vous avez toujours les pauvres avec vous. » (Matthieu 26.6-13 ; Marc 14.3-9 ; Jean 12.1-8 et peut-être Luc 7.36.50 mais l’histoire semble bien différente)
Le sens prophétique de l’onction
Dans ce texte, une femme (anonyme chez Matthieu et Marc, identifiée à Marie, la sœur de Marthe, chez Jean) verse donc du parfum sur Jésus (sur sa tête ou sur ses pieds selon les récits). Le narrateur précise que ce parfum est de grande valeur, et les observateurs de la scène, qui critiquent la femme, le confirment : le précieux liquide vaut 300 deniers ! Soit à peu près un an de salaire ! À titre comparatif, un texte comme Marc 6.37 semble indiquer que 200 deniers auraient pu servir à nourrir 5000 hommes. C’est donc une véritable offrande que la femme fait au Seigneur.
Comment Jésus interprète-il son geste ? Il commente qu’« elle a d’avance embaumé mon corps pour préparer mon enterrement ». Certainement de manière inconsciente (un peu comme Caïphe en Jean 11.49-52), Marie prophétise la mort et l’ensevelissement de Jésus en versant du parfum sur son corps, comme pour préparer sa sépulture. Jésus ne sera en effet absolument pas pris par surprise par sa condamnation ; il l’avait lui-même annoncée. C’est lui qui donne sa vie pour rassembler ses enfants et les réconcilier avec le Père.
Mais revenons à notre scène. Qu’est-ce qui pousse Jésus à interpréter le geste généreux de Marie ?
Jésus distinct des pauvres
Jésus commente l’onction opérée par Marie parce que les observateurs présents lors du repas chez Simon le lépreux critiquent la femme. Et ils la critiquent même vivement (le narrateur insiste). Ils se demandent entre eux : « Pourquoi gaspiller ce parfum ? On aurait pu le vendre et en tirer trois cents pièces d’argent, qu’on aurait données aux pauvres ! ». Et Jésus de leur répondre : « Des pauvres, vous en avez toujours autour de vous, et vous pouvez leur faire du bien quand vous le voulez, mais moi, vous ne m’avez pas toujours ».
Par ce « mais moi », Jésus se distingue clairement des pauvres. Il souligne ainsi l’importance de l’amour que la femme lui a porté. Cela nous rappelle le principe fondamental selon lequel aimer les pauvres, ce n’est pas nécessairement aimer Jésus. Je croise beaucoup de non-croyants qui pensent être acceptés par Dieu parce qu’ils aiment et servent les pauvres. Mais Jésus montre ici que c’est la relation que nous avons avec lui qui est prioritaire.
Peut-on alors dire, comme ces personnes que je mentionnais en introduction, que l’amour des pauvres, l’entraide, la solidarité, sont relativisés par Jésus ? Le Christ est-il en train de dire « Aimez-moi et laissez les pauvres, puisqu’ils seront toujours là, quoi que vous fassiez ? »
Responsabilité envers les pauvres
En réalité, la phrase « vous avez toujours les pauvres avec vous » n’est pas de Jésus. C’est une citation de Deutéronome 15.11. Le verset complet dit : « Il y aura toujours des pauvres dans le pays ; c’est pourquoi je te donne cet ordre : Tu devras ouvrir ta main à ton frère, le pauvre ou le déshérité qui est dans ton pays. » Dans le langage biblique, « il y aura toujours des pauvres » n’est pas synonyme de « on ne peut rien faire » mais bien plutôt un appel à servir les pauvres.
Le texte de Deutéronome 15 commence même par : « En fait, il ne doit pas y avoir de pauvres parmi vous, car l’Éternel votre Dieu veut vous combler de bénédictions dans le pays qu’il vous donne comme patrimoine foncier pour que vous en preniez possession. » Mais le texte est réaliste : il y aura tout de même toujours des pauvres dans le pays. Le peuple doit donc exercer sa générosité.
Jésus est ainsi en train de rappeler leur responsabilité à ceux qui critiquent la femme. D’ailleurs, dans l’Évangile de Marc, il ajoute même « vous pouvez leur faire du bien quand vous le voudrez ». On pourrait déceler une pointe d’ironie dans les propos de Jésus : « Si vous voulez tant aider les pauvres, allez-y, ils sont toujours avec vous, je vous prends au mot. »
Ce texte ne peut donc pas être cité pour relativiser l’aide aux pauvres. Au contraire, Jésus rappelle que la solidarité est commandée par la Loi. Mais il situe cette solidarité par rapport à l’amour qui lui est porté. C’est une véritable mise en scène du double commandement « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ton intelligence. Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Pour le dire encore autrement : aimer les pauvres, ce n’est pas nécessairement aimer Jésus, mais aimer Jésus, c’est nécessairement aimer les pauvres.
Conclusion
Pour terminer, j’aimerais revenir sur une parole de Jésus dans ce texte et dont je n’ai pas encore parlé. Il s’agit du verset 9 en Marc 14 (et du verset 13 en Matthieu 26) : « Vraiment, je vous l’assure, dans le monde entier, partout où l’Évangile sera annoncé, on racontera aussi, en souvenir de cette femme, ce qu’elle vient de faire. » Jésus situe le souvenir de cette femme et de son geste dans le cadre de l’envoi en mission, de la prédication de l’Évangile dans le monde entier. Maintenant que l’on a mieux compris le sens de cette histoire (en tout cas je l’espère), je conclue donc, à la suite de Jésus, avec cette question : à qui vais-je pouvoir partager ce récit ?