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Louis Schweitzer (4) : « Faire la charité ne suffit pas, il faut aussi lutter pour plus de justice ! »

Le pasteur et théologien français Louis Schweitzer nous livre ses réflexions sur le sujet de la pauvreté au cours de 4 interviews...

Louis Schweitzer est pasteur et théologien. Il enseigne l’éthique et la spiritualité à la Faculté libre de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine, ainsi qu’à l’Institut supérieur d’études œcuméniques de Paris. Cet article s’inscrit dans une série de 4 interviews réalisées avec lui sur le sujet de la pauvreté et du développement…

SEL : Comment peut-on lutter efficacement contre la pauvreté ?

Louis Schweitzer : Je crois que la réponse à la pauvreté peut être très variée. Rappelons-nous que la pauvreté en soi n’existe pas. Ce qui existe ce sont des gens qui sont pauvres, parfois des populations ou des pays qui le sont. Donc on ne va pas régler « la question » de la pauvreté. Ça n’a pas de sens. Par contre, vous pouvez essayer de trouver une solution à la souffrance de quelqu’un ou d’un groupe en particulier. Ça va relever de la responsabilité personnelle, de l’éthique personnelle. Vous pouvez aussi vous poser la question au niveau politique (que ce soit local ou plus large) : Comment faire en sorte qu’il y ait moins de pauvres ? Comment venir en aide aux gens les plus pauvres. Là, on passe à un autre registre qui est l’éthique sociale.

On peut donc distinguer deux niveaux : l’éthique personnelle et l’éthique sociale ?

Quand j’étais jeune, c’était l’époque où le marxisme était très fort. Vous aviez énormément de gens qui disaient : « il ne faut surtout pas faire la charité parce qu’en le faisant vous justifiez l’oppression du prolétariat par le capital… ». Moi j’ai envie de dire que quand on est chrétien, il faut s’appliquer aux deux : la charité mais aussi la justice !

L’homme étant ce qu’il est et le péché étant ce qu’il est, il faut se battre pour la justice mais sans se faire trop d’illusions non plus sur le résultat final. Il y aura toujours des pauvres avec nous… On peut aussi essayer de « leur apprendre à pêcher plutôt que de leur donner du poisson » pour reprendre la formule classique. C’est encore mieux. Mais faire la charité ne suffit pas, il faut aussi lutter pour plus de justice ! Mais sans oublier l’aide concrète et immédiate. Il faut s’occuper à la fois de ce qui est structurel et venir en aide très concrètement aux personnes qui sont dans le besoin.

Dans l’ouvrage Vivre en chrétien aujourd’hui que vous avez codirigé, vous repartez de la parabole du Bon Samaritain pour illustrer cette dualité.

C’est exact. Il me semble que c’est une illustration qui porte effectivement à la réflexion. Le Bon Samaritain est l’image biblique type de celui qui va aider concrètement son prochain. Mais si on se place sur le terrain de l’interprétation (et non plus de ce que la Bible dit elle-même), on pourrait peut-être donner une suite à cette parabole.

Imaginons que l’histoire continue et que le lendemain, une autre personne qui chemine sur la même route se fait elle-aussi agresser par les mêmes bandits. Et la même chose, la semaine suivante. Au bout d’un certain temps, on peut se demander si l’amour du prochain ne va pas consister à résoudre le problème de manière plus large. Est-ce que je vais essayer de sécuriser la route ? De trouver des solutions pour qu’il n’y ait plus d’agressions ? De mettre des postes de Croix-Rouge samaritaine un peu partout ? On passe alors à un autre registre. C’est toujours la même question de base mais simplement les solutions sont à des niveaux différents.

À qui incombe alors la responsabilité de se soucier des pauvres ?

J’aurais tendance à dire que c’est de la responsabilité de tout le monde sans exception mais à des niveaux différents. Il n’était pas forcément prévu que le Bon Samaritain se passionne pour les questions sociales mais il rencontre une personne sur la route qui est pauvre (au sens qu’elle est dépouillée de tout) et il va s’en occuper. De la même façon, il y a des pauvres dans notre quartier, dans notre immeuble, chacun de nous peut en rencontrer sur sa route et c’est alors de notre responsabilité.

Une communauté comme une Église peut aussi rencontrer des pauvres sur son chemin. Il peut s’agir de personnes internes à l’Église qui passent par des moments difficiles. Il peut aussi s’agir de personnes extérieures mais vers lesquelles l’Église a pu aller. Je pense alors que dire aux gens que Dieu les aime n’a pas beaucoup de sens pour eux si celui qui le dit ne fait que parler. La parole est beaucoup plus forte lorsque celui qui la prononce la manifeste concrètement !

Enfin, plus largement en tant que citoyen, ce souci des plus pauvres peut aussi être pris en compte dans la mesure où nous sommes dans un pays où l’on nous demande notre avis pour choisir les personnes qui vont nous représenter. Le problème, c’est que ce souci n’est pas le seul et qu’il faut faire un choix. Le chrétien se trouve en effet dans une situation difficile. Il y a beaucoup de sujets importants sur lesquels il serait bon de s’engager, mais il arrive qu’ils soient défendus par des personnes ou des partis différents. Le chrétien doit alors avoir le courage de s’engager avec les uns sur telle question et avec d’autres, parfois leurs adversaires, sur une autre.