Louis Schweitzer (3) : « La plupart du temps, la pauvreté est liée au péché du riche, pas du pauvre ! »
Le pasteur et théologien français Louis Schweitzer nous livre ses réflexions sur le sujet de la pauvreté au cours de 4 interviews...
Louis Schweitzer est pasteur et théologien. Il enseigne l’éthique et la spiritualité à la Faculté libre de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine, ainsi qu’à l’Institut supérieur d’études œcuméniques de Paris. Cet article s’inscrit dans une série de 4 interviews réalisées avec lui sur le sujet de la pauvreté et du développement…
SEL : D’après vos observations du monde dans lequel nous vivons et d’après votre lecture de la Bible, quelles sont les causes de la pauvreté qui nous entoure ?
Louis Schweitzer : Il peut y avoir un mélange de pas mal de choses. Parfois, et le SEL est bien placé pour le savoir, il peut s’agir de raisons naturelles. Une sécheresse durable peut aboutir à des situations de détresse. Lorsque vous avez dans un pays toute une période semblable, ça peut très bien déboucher sur des situations de pauvreté. Et là, c’est une pauvreté qui est liée à la nature.
Néanmoins, j’ai l’impression que la plupart du temps la pauvreté est quand même liée au péché. Et, en règle générale, ce n’est pas le péché du pauvre mais plutôt le péché du riche ! Si on regarde l’Ancien Testament, dans beaucoup de passages vous avez des prophètes qui tempêtent contre les riches parce qu’ils ont privé le pauvre de ce qui lui revenait. On le retrouve dans l’épître de Jacques aussi. Je pense alors (et dans nos sociétés actuelles c’est particulièrement vrai il me semble) qu’une partie de la pauvreté est liée à l’absence de sens de la justice de ceux qui ont le pouvoir : le pouvoir politique mais aussi le pouvoir matériel, économique… J’ai l’impression que le péché – au sens très large (péché personnel et péché structurel) – fait que celui qui a a toujours le désir d’en avoir plus et ne se préoccupe pas trop du fait que le pauvre à côté de lui puisse manquer.
La pauvreté résulte pour partie d’un manque de solidarité entre les êtres humains ?
Je pense qu’une de nos responsabilités c’est de nous soucier de l’autre. C’est très frappant de voir comment dans l’Écriture il y a toute une dimension de redistribution des biens avec le jubilé. Il y a tout un souci, si on peut dire, de règles économiques. Ça ne revient pas simplement à dire « soyez gentils avec les pauvres » mais c’est finalement une sorte de régulation économique dans la société pour qu’il n’y ait pas normalement de pauvres ou en tout cas le moins possible. Et il ne devrait pas y avoir de pauvres si les êtres humains avaient un sens de la solidarité suffisant !
Les chrétiens devraient-ils davantage s’interroger sur les causes de la pauvreté ?
Tout à fait. Je crois qu’il y aurait une naïveté à croire que le fait qu’il y ait des riches et des pauvres soit quelque chose de naturel. S’il s’agit de quelque chose de naturel, c’est bien dans un monde pécheur. Et précisément, si le monde est pécheur, le chrétien n’est pas censé s’en contenter de manière sereine. Il doit essayer de faire changer les choses et les mentalités !
Ancien archevêque au Brésil, Dom Helder Camara disait : « Quand je soulage la faim des pauvres, on dit que je suis un saint. Quand je demande pourquoi ils ont faim, on m’accuse d’être communiste ! » Cette vision des choses doit changer. L’action des chrétiens ne peut se limiter à la charité quand ce sont des changements sociaux structurels qui sont nécessaires. Et pour en prendre conscience, il est nécessaire de se demander comment les pauvres en sont arrivés là.
L’oppression du pauvre par le riche, on peut le voir au niveau d’une société mais peut-être aussi au niveau des pays ?
Je crois que c’est une évidence. Pour moi, les occidentaux devraient se rendre compte qu’ils sont responsables d’une partie de la pauvreté dans les pays du Sud. Je suis très frappé par le fait que, même dans l’Église, dès que l’on commence à parler de ce sujet il y a quelqu’un qui va dire « oui mais il y a de la corruption dans les pays pauvres et c’est ce qui explique en bonne partie leur situation de pauvreté ». C’est vrai ! Dans beaucoup de ces pays, les riches de ces pays pauvres oppriment les pauvres de ces pays pauvres. C’est une réalité. Mais elle ne doit surtout pas nous faire oublier quelque chose de beaucoup plus vaste. C’est qu’en occident nous faisons quand même en grande partie reposer notre richesse et notre confort sur la pauvreté de tout un tas de gens. La raison, c’est que ça nous arrange d’avoir des tee-shirts et des chemises qui ne soient pas chers. Mais ça nous intéresse moins de savoir comment ils sont fabriqués.
Dans quelle mesure doit-on se sentir responsable de la pauvreté des pays du Sud ?
Je distinguerais deux types de responsabilités. Pour moi, il y a une responsabilité évidente et directe de certains. Et là je pense par exemple à des groupes économiques internationaux, des grandes entreprises qui cherchent constamment le prix le plus bas. Donc finalement dans cette logique, plus il y a de pauvreté mieux c’est d’une certaine manière.
Et puis, il y a une responsabilité diffuse et généralisée dans laquelle nous – vous et moi – sommes impliqués parce que quand nous utilisons un téléphone portable nous ne voulons pas trop savoir la manière dont certains des composants sont récupérés dans des pays d’Afrique ou d’Asie. Si nous en avions connaissance, ça nous empêcherait peut-être un peu de dormir.
Le problème de cette seconde responsabilité, c’est qu’elle est politiquement très difficile à gérer. Je crois que l’on ne pourrait sortir de cette situation qu’à partir du moment où il y aurait une prise de conscience suffisamment forte pour que les sociétés occidentales – je parle des pays riches en bloc – acceptent que leurs niveaux de vie cessent d’augmenter voire que leur style de vie se simplifie. Et là, on en revient à la place du péché ! J’ai un peu de mal à imaginer qu’un homme politique soit facilement élu sur ce genre de programme…