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« Tu aimeras ton prochain comme toi-même » : un commandement exigeant

A l'occasion de la Journée du SEL, Daniel Hillion, directeur des études au SEL, a questionné plusieurs pasteurs et théologiens sur la question de l'amour du prochain. Voici le résultat de son échange avec Clément Blanc, pasteur en formation dans une implantation d'Eglise en région parisienne.

« Tu aimeras ton prochain comme toi-même » est l’un des textes bibliques les plus connus. Ce qu’il dit peut sembler « sympathique » à première vue. N’est-ce pas aussi très exigeant ?

J’ai du mal à voir des enseignements de Jésus qui ne soient pas très exigeants ! Mais il est peut-être vrai que Jésus insiste particulièrement sur l’amour du prochain et sur sa traduction concrète dans la générosité. Il met tellement l’accent là-dessus parce qu’il veut, pour ainsi dire, venir nous tester. Ceci dit, dans toutes sortes d’autres domaines il n’est pas moins exigeant : il affirme qu’on ne peut pas le suivre si on n’est pas prêt à porter sa croix. Face à cela, aimer son prochain paraît presque accessible !

Comment concrétiser l’amour du prochain ?

Dans 1 Jean 3.16-17, l’apôtre parle d’abord du fait de « donner notre vie pour les frères » (verset 16). Cela paraît être le commandement le plus difficile à mettre en pratique, le plus intense : se sacrifier et mourir pour celui qu’on aime. Dans la continuité immédiate (verset 17), il nous est dit que celui qui aime Dieu utilise ses biens matériels pour secourir son frère. Cela ressemble presque à un anticlimax : on part de « donner sa vie » et on arrive à « donner de l’argent à son frère ». Dans cette logique-là, l’amour du prochain qui se concrétise c’est la partie pratique de ce qui, au moins sur le principe, est un engagement sans limite.
Dans la démarche de mise en pratique de l’appel à être disciple, le pauvre vient nous tester, nous montrer où nous en sommes et rendre concret notre discours et notre posture générale en nous donnant l’occasion de la concrétiser. Je n’ai jamais autant l’occasion de vérifier où j’en suis avec l’amour du prochain que lorsque mon compte en banque se vide parce que je deviens généreux.

Faut-il aimer particulièrement le prochain pauvre ? Si oui pourquoi ?

Aimer son prochain, c’est lui faire ce que nous voudrions qu’il nous fasse. Le pauvre a besoin qu’on vienne le secourir matériellement, ce qui n’est pas le cas du riche. La différence est d’abord dans la situation : le pauvre n’a pas une vertu particulière, mais un besoin particulier !
Une idée que l’on trouve chez les Pères de l’Église est que, d’une certaine façon, aimer le riche, c’est le mettre en garde par rapport au risque d’être riche sans être généreux. Il s’agit de venir le secourir de sa potentielle idolâtrie et de son attachement indu à ses richesses. Le commandement d’aimer son prochain amène à venir l’aimer dans sa situation et chaque besoin implique un secours différent.

Posséder des richesses : est-ce là le véritable problème ?

Les richesses vont avec la tentation de l’idolâtrie. Jésus parle de devoir choisir entre Dieu et Mammon, entre un attachement inconditionnel envers Dieu et un attachement inconditionnel envers les richesses. En Luc 12.16-21, Jésus raconte l’histoire d’un riche qui est insensé parce que sa capacité à accumuler sa récolte lui donne l’impression de lui fournir tout ce qu’il pourrait attendre de Dieu : une sécurité, un espoir pour l’avenir, une perspective de jouissance quotidienne jusqu’à la fin de ses jours. La réponse de Jésus consiste à dire : cela, c’est Dieu qui le fait pour son peuple. Il prend soin de la création, des oiseaux, des plantes (cf. Luc 12.24-28). Ce n’est pas aux greniers de le faire, ni à Mammon. Le problème du riche insensé n’est pas dans ses greniers mais dans le fait que ses greniers se retrouvent à jouer le rôle de Dieu. L’impératif avec lequel Jésus finit n’est pas simplement de mettre Dieu à la première place, mais de vendre ses richesses et de les donner aux pauvres (Luc 12.33). On pourrait paraphraser : aimez votre prochain et cela vous permettra de vous détacher de vos richesses et donc de pouvoir aimer Dieu. C’est en se séparant de l’amour des richesses qu’on peut à la fois secourir son prochain pauvre et avoir un attachement entier à Dieu.


On peut relever que dans Luc 12, le coeur de ce que Jésus dit ne consiste pas à nous donner un manuel sur la façon de secourir le pauvre. À la limite, on pourrait avancer de manière provocante que dans un texte comme celui-là, le pauvre est uniquement là pour secourir le riche. Il n’a pas de rôle actif. Cela apparaît encore plus fortement dans Luc 16.19-31 avec l’histoire du mauvais riche et de Lazare. Le coeur de l’histoire n’est pas la question de la fidélité du pauvre Lazare, mais de se rendre compte de ce que signifie être un enfant d’Abraham quand on a un mendiant devant sa porte. Le Royaume de Dieu est un royaume d’amour de Dieu et du prochain. Il faut donc prendre garde au fait que quand le royaume de Dieu s’approche, il s’agit d’un royaume où Dieu fait justice aux pauvres et où il attend des membres de son royaume qu’ils prennent soin des pauvres. Même si l’Évangile selon Luc parle beaucoup des pauvres, il s’adresse d’abord aux riches.

Qu’est-ce que Luc veut dire aux riches ?

Le riche qui lit les textes de Luc est censé comprendre que Dieu s’approche, qu’il vient régner sur son peuple et qu’il attend de son peuple qu’il soit son peuple, c’est-à-dire qu’il agisse avec justice. Cela ne veut pas dire que se séparer de ses biens soit une fin en soi pour les riches mais plutôt que l’on s’assure que la justice de Dieu vienne secourir le pauvre – en priorité à l’intérieur du peuple de Dieu – comme témoignage pour les nations. Il n’y a pas une vertu en soi dans la mise en commun des biens vécue dans la première communauté de Jérusalem, mais il y en a une dans le fait que, dans leur contexte, cela leur ait permis qu’il n’y ait pas de pauvres parmi eux (Actes 4.34). La fin en soi est de glorifier Dieu en étant un peuple dans lequel chacun est reconnu dans sa pleine dignité et où un amour réel permet que personne ne souffre de l’extrême pauvreté.

Comment concilier un accent fort sur l’exigence de l’amour du prochain pauvre et l’annonce du salut par grâce ? N’y a-t-il pas un risque de retomber dans une religion des œuvres, de l’aumône par laquelle on achète son salut ? Est-ce que vous diriez qu’on peut douter du salut de quelqu’un qui ne fait pas ses preuves dans le domaine de l’action face à la pauvreté ?

Pour lire la suite de cette réflexion, inscrivez-vous à la Journée du SEL ! Vous trouverez le texte dans son intégralité, ainsi que d’autres réflexions sur le même sujet écrites par des pasteurs et théologiens.

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Daniel Hillion
Directeur des études au SEL