Samuel Telliano : « La solution durable aux problèmes guinéens ne peut venir que de l’Église ! »
Samuel Telliano est pasteur en République de Guinée. Il présente les problèmes complexes de la pauvreté auxquels il est confronté dans son pays et le rôle positif que l’Église - et notamment les chrétiens à titre individuel - peuvent jouer.
Pourriez-vous nous parler de l’expérience de la pauvreté telle que vous la connaissez dans votre pays ?
J’ai moi-même été victime de la pauvreté et de la malnutrition. La Guinée est un pays au sous-sol riche, mais il y a une injustice dans la gestion de la chose publique. Il y a une classe très riche qui vit dans un luxe insolent et une classe très pauvre – mais pas de classe intermédiaire. La majorité de la population vit dans la pauvreté qu’il s’agisse des paysans (les plus nombreux) ou des fonctionnaires (dont le salaire n’est pas suffisant pour subvenir aux besoins de leur famille).
La pauvreté, ce sont d’abord les besoins primaires qui ne sont pas satisfaits : nourriture, accès aux soins de santé (notamment face au paludisme), vêtements. La plupart des gens mangent au maximum un repas par jour.
Pourriez-vous nous parler du contexte international dans lequel se trouve la Guinée ?
Outre les problèmes internes à la Guinée, il y a bien sûr également des causes externes aux situations de pauvreté auxquelles nous sommes confrontés. Les grandes puissances sont tombées sur la Guinée en raison des ressources de son sous-sol. Nous sommes le 3e pays le plus riche d’Afrique, après l’Afrique du Sud et la République démocratique du Congo. Nous sommes parmi les premiers producteurs de bauxite (qui sert dans la fabrication de l’aluminium). Mais la population de Guinée n’en bénéficie en rien : les produits exploités en Guinée n’apportent aucun intérêt aux Guinéens.
Certains en Guinée disent qu’il aurait mieux valu que nous ayons été colonisés par les Anglais car ils ont appris les projets de développement à leurs colonies, comme on a pu le voir au Ghana ou au Nigéria. Au contraire, en Guinée, nous avons tendance à voir dans l’action et les interventions de la France (notamment dans le domaine politique) la raison de nos échecs. La Chine, quant à elle, nous apporte le néocolonialisme. Elle a la plupart des projets, mais au lieu d’employer de la main d’œuvre guinéenne, elle amène ses propres experts et n’embauche les Guinéens que pour des tâches subalternes et mal payées.
Comment la Bible nous appelle-t-elle à nous positionner face à la pauvreté ?
Tout part de ce premier appel dans la Genèse de s’occuper de tout ce que le Seigneur a créé. Genèse 2 parle de garder et de cultiver le jardin. Dans le ministère de Jésus dans les Évangiles, on le voit toujours ému de compassion et agir pour les foules qui sont en sa présence.
Et puis, il y a surtout Jacques 1.27 qui dit que la religion pure et sans tache consiste à visiter les orphelins et les veuves. Et bien sûr, je veux souligner le texte d’Ésaïe 58 qui est comme une devise pour moi. Il appelle à un cœur pour ceux qui sont sous le joug et l’injustice, dans la pauvreté et dans le manque, qui sont démunis et fragiles. Ce passage nous dit de les soutenir. Et il y a encore d’autres textes !
Pourriez-vous nous dire comment il faut aider les plus pauvres ? En particulier comment combiner l’aide et le développement ou la responsabilisation des personnes aidées ?
Quand je rencontre quelqu’un qui souffre, je ne commence pas par lui apprendre quelque chose pour qu’il se développe lui-même. S’il a faim, je commence par partager mon repas avec lui. Quand on rencontre quelqu’un qui est dans le besoin et qu’on veut tout de suite l’utiliser pour qu’il puisse faire quelque chose, parfois il n’y arrive pas. J’ai moi-même été pauvre et le premier sentiment qu’on a quand on est pauvre c’est que l’on veut être aidé pour faire face à ses problèmes. Toute la réflexion du pauvre est orientée vers sa subsistance et sa survie et non vers des projets d’avenir. Il faut qu’au moins une partie de ses besoins soient pourvus pour qu’il puisse réfléchir au développement. Il ne faut donc pas venir tout de suite avec une exigence de participation de la part du pauvre.
Je relève aussi que beaucoup d’ONG exigent des contreparties significatives de la part de ceux qu’elles aident : le pauvre doit se déplacer, passer toute une journée en ligne pour avoir un sac de riz. Il doit se rendre dans plusieurs bureaux où on lui crie dessus, où on lui demande telle ou telle signature. Attention à ne pas mettre plus de joug sur la personne au lieu de l’aider ! Si nous ne créons pas un contexte susceptible de susciter la confiance, le pauvre va nous fuir alors même que nous voulions lui faire du bien. Souvent, en aidant le pauvre, on peut le frustrer.
Ceci dit, il est vrai qu’il n’est pas bon d’aider indéfiniment et qu’il y a un moment où on peut amener quelqu’un vers un développement possible. Mais il faut attendre le temps où la personne a les facultés de réfléchir.
Comment les chrétiens guinéens s’impliquent-ils concrètement ?
Il faut que l’Église témoigne de son amour dans la société. Les Églises protestantes se sont impliquées dans les domaines de l’éducation, des soins (construction d’hôpitaux) et par l’apport de dons aux familles qui souffrent. Mais je dois souligner ici une tentation : lorsque les écoles ou les hôpitaux chrétiens font des bénéfices, certains voudront qu’ils servent à soutenir les Églises. Ce n’est pas mon avis. L’Église doit vivre des dîmes et des offrandes. Mais si un hôpital chrétien fait des bénéfices, il faut mieux former le personnel et subventionner les soins pour que la population y ait accès.
En fin de compte, l’expérience me montre que les initiatives personnelles de certains chrétiens sont mieux gérées que les projets d’Églises. Pour ces derniers, nous sommes malheureusement confrontés en Guinée à des problèmes de détournement.
Dans quelle direction faut-il orienter les efforts ?
La meilleure façon pour les pays Occidentaux de s’investir pour les pays du Sud est d’aider ces pays à produire un véritable discipulat. Sans de vrais disciples, l’aide ne réussira jamais. Nous avons besoin d’une conversion des personnes intermédiaires dans les pays du Sud et d’un cœur pour venir en aide aux pauvres. Il ne s’agit pas d’abord d’aider financièrement des personnes pauvres, mais de former des personnes individuelles qui seront des disciples et qui, elles, pourront aider les pauvres.
Je suis de ceux qui pensent que la solution durable aux problèmes guinéens ne peut venir que de l’Église – et d’abord de l’Église guinéenne et de chrétiens guinéens à titre individuel. Ensuite de l’Église mondiale. Elle ne viendra jamais de l’Occident, parce que ce monde n’ira pas mieux. Elle ne viendra pas non plus du gouvernement guinéen. Il faut que l’Église soit capable de montrer un modèle susceptible d’être reproduit à l’échelle nationale, par exemple dans le domaine de l’éducation. Il nous faut être capables de créer des initiatives honnêtement gérées et qui viennent réellement en aide à la population. Le but de l’action sociale est de témoigner l’évangile et non de sauver le monde. Puisque le monde sera détruit, le rôle de l’Église est de faire rentrer dans l’enclos ceux vers qui le Seigneur l’envoie. L’action sociale sera dès lors un témoignage et non une politique.
Ésaïe 58, que vous avez mentionné, conjugue les thèmes de la libération et du partage : comment cela peut-il se traduire en pratique ?
Libérer : c’est une partie de l’Évangile de Jésus-Christ qui est venu pour apporter la délivrance à ceux qui sont dans les chaînes. On peut partager de l’espérance, même si on ne peut pas toujours libérer physiquement – par exemple quand on va visiter des personnes en prison.
Partager : c’est donner ce que nous avons avec celui qui en a besoin. Notre nourriture, nos vêtements, nos dons, ce que nous possédons.
Nos paroles peuvent libérer comme elles peuvent enfermer. Elles peuvent partager ou priver l’autre. Il faut que notre aide et notre manière d’aborder celui qui souffre et même notre regard et notre façon d’être apporte l’espoir pour ne pas l’enfermer davantage.
Pour poursuivre votre lecture, nous vous suggérons l’interview du pasteur Serge Oulaï qui interroge la façon dont les chrétiens français se positionnent face aux Africains et à la pauvreté en Afrique.