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Pourquoi Haïti connaît-elle tant de pauvreté ?

Comment une terre, jadis présentée comme le « joyau de la couronne française », a-t-elle pu devenir le « pays le plus pauvre du continent américain » ?

Le 12 janvier 2010, un terrible séisme frappe Haïti de plein fouet. Il rappelle au monde entier les difficiles conditions de vie dans ce pays, souvent qualifié de « plus pauvre du continent américain ». Deux siècles après avoir accédé à l’indépendance, une question est dans tous les esprits en Haïti à la veille du premier tour de l’élection présidentielle du 25 octobre : comment en est-on arrivé là ?

Comment une terre, jadis présentée comme le « joyau de la couronne française », a-t-elle pu devenir le 163e pays au monde en matière d’IDH[1] ? Si plusieurs raisons peuvent être avancées, la complexité d’un tel sujet appelle néanmoins à la prudence et interdit toute démarche hâtive ou caricaturale. Voici une liste non exhaustive des principaux facteurs qui peuvent aider à mieux comprendre ces situations de pauvreté …

L’exploitation des puissances étrangères

Si du temps où elle était encore connue sous le nom de Saint-Domingue, la prospérité d’Haïti dépassait celle de toutes les colonies françaises, les sources de sa richesse étaient néanmoins bien fragiles. En effet, son essor reposait essentiellement sur l’esclavage et sur le « pacte colonial »[2] passé avec la France : il ne pouvait par conséquent être durable, tout particulièrement à partir du moment où le pays accédait à l’indépendance. Ce qui fut chose faite par les armes en 1804.

Consécutivement, Haïti connut un isolement important sur la scène internationale car – en tant que « premier pays noir indépendant » – elle représentait une menace pour toutes les nations esclavagistes. Pour sortir de cette impasse, le président Jean-Pierre Boyer (1776-1850) consentit à payer en 1825 une indemnité de 150 millions de francs or à la France en échange de la reconnaissance de l’indépendance haïtienne. Cette double dette – comprenant à la fois l’indemnité mais aussi les intérêts des emprunts contractés pour l’honorer – pesa sur l’économie de l’île pendant plus de 125 ans et constitua une entrave grave au développement économique du pays.

Jalouses de la position avantageuse accordée à la France, les autres grandes puissances occidentales obligèrent Haïti à leur octroyer des concessions tarifaires qui occasionnèrent là encore des manques à gagner pour l’économie haïtienne. Tout ceci se fit au détriment du développement de l’île et culmina dans l’occupation militaire du territoire d’Haïti par les États-Unis à partir de 1915.

Plus récemment, dans les années 1980, Haïti s’est également vu contrainte de baisser fortement ses tarifs douaniers dans le cadre des programmes d’ajustements structurels du FMI et de la Banque mondiale. Cette politique de libéralisation commerciale a alors eu pour conséquence de favoriser les productions étrangères (notamment le riz américain) face aux productions locales contribuant ainsi à accentuer la dépendance vis-à-vis des importations et à appauvrir les agriculteurs haïtiens.

Les problèmes de gouvernance intérieure

Dessalines fondateur de la patrie haïtienne

Suite à l’indépendance, le poids de l’armée s’est vu renforcé dans la société haïtienne. Sous le gouvernement de Dessalines (1758-1806), au tout début du XIXe siècle, 52 500 hommes étaient sous les drapeaux, soit 19 % de la population. Face aux menaces de nouvelles invasions, les dépenses militaires pesaient alors lourdement sur le budget total, réduisant d’autant la part consacrée au développement des infrastructures. Cette situation déséquilibrée influa aussi sur la direction du pays puisqu’à deux exceptions près, aucun civil n’a eu la possibilité d’accéder à la présidence de 1804 à 1915.

Sur la même période, seulement huit des vingt-quatre présidents ont été au bout de leur mandat, nombreux sont ceux qui ont été renversés par des révolutions. Ces troubles politiques n’ont d’ailleurs pas été réservés au XIXe siècle mais ont malheureusement perduré jusqu’à maintenant ; en témoignent les trente années de dictature Duvaliériste ou encore le coup d’État mené par Raoul Cédras en 1991.

Cette instabilité politique fait fuir les capitaux mais aussi la population ! Haïti est ainsi le seul pays du continent américain à avoir perdu l’ensemble de sa classe dirigeante durant les luttes pour l’indépendance. Par la suite, le pays s’est constamment vu amputé d’une partie de ses élites qui furent soit décimées par la guerre civile, soit contraintes à l’exil.

Enfin, si l’on évoque les problèmes de gouvernance en Haïti, on ne peut passer sous silence le véritable casse-tête de la corruption. Classé actuellement au 159e rang de l’indice de Transparency International, le pays a réellement besoin d’améliorer sa gestion pour pouvoir attirer les investisseurs ou mieux utiliser les aides internationales publiques.

Les pesanteurs culturelles

L’idéologie présente dans la société haïtienne n’a pas non plus été pour favoriser l’évolution du pays. En effet, dans le cas d’Haïti, l’existence de certaines pesanteurs culturelles ont pu influencer négativement le développement, à commencer par la spiritualité vaudou. Basée sur la peur et l’incertitude, cette religion – importée d’Afrique avec la traite négrière – a paralysé l’esprit d’initiative des Haïtiens en même temps qu’elle a donné naissance à une « société de méfiance », peu propice à l’épanouissement de chacun.

La mentalité des populations haïtiennes a aussi été profondément marquée par le passé esclavagiste dont l’influence a perduré au-delà de l’indépendance. Les esclaves libérés ont ainsi souvent copié les comportements de leurs anciens maîtres et continué – malgré eux – à entretenir un rapport négatif au travail. De même, le préjugé raciste lié à la couleur – entre noirs et mulâtres[3] – a lui aussi survécu à l’indépendance, rendant l’unité nationale encore plus difficile qu’elle ne l’était déjà.

Les catastrophes naturelles

Séisme Haïti

La nature ne facilite pas non plus le développement de l’île comme a pu tragiquement le rappeler le séisme du 12 janvier 2010. De par sa situation géographique, Haïti est en effet tristement habituée aux catastrophes naturelles : elle doit à la fois faire face à de nombreux cyclones ainsi qu’à une forte activité sismique.

L’indice de risque aux catastrophes naturelles d’Haïti est important puisque le pays se trouve au 21e rang mondial. Mais si l’exposition au risque reste encore raisonnable en comparaison de bien d’autres nations, ce qui pose véritablement problème avec Haïti, c’est son incapacité à faire face aux catastrophes. On se trouve en effet dans le cas d’un pays qui est malheureusement confronté à une sorte de cycle vicieux où la pauvreté empêche de répondre correctement à des catastrophes naturelles qui elles-mêmes appauvrissent encore davantage les populations. Or, pour développer durablement un pays, il est essentiel d’avoir une bonne gestion des risques naturels pour pouvoir justement limiter les pertes humaines et matérielles qui sont si coûteuses et dramatiques.

Enfin, si les catastrophes naturelles handicapent autant le développement d’Haïti c’est aussi parce que leurs effets sont décuplés par le manque de préoccupation écologique de la population. Une surexploitation des sols ou un déboisement anarchique sont en soi dommageables économiquement mais couplés à d’importantes inondations les résultats peuvent être encore plus dévastateurs.

Conclusion

Si le parti-pris de cet article était de présenter un certain nombre des raisons pouvant expliquer la pauvreté en Haïti, il ne faudrait pas non plus noircir le tableau. Il y a aussi de multiples sujets de réjouissances. Parmi d’autres, les Haïtiens n’ont jamais autant réfléchi sur eux-mêmes, en témoigne la réflexion théologique menée par de nombreux responsables d’Eglises à la suite du séisme de 2010.

 

  • [1] L’indice de développement humain (IDH) est un indice statistique composite, créé par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) pour évaluer le niveau de développement humain des pays du monde.
  • [2] Le « pacte colonial » était conçu pour favoriser l’accroissement du commerce français tout en maintenant Saint-Domingue dans la dépendance de la métropole. Les colons ne cherchaient pas à développer l’île mais bien à exploiter à moindre frais le plus de denrées possibles.
  • [3] Terme non péjoratif couramment utilisé dans les Antilles pour désigner une personne dont l’un des parents est noir et l’autre blanc. Le terme métis est plus général.