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Partenaires pour atténuer ses faiblesses et être plus forts

Interview de Kossi Agbo de Tearfund, organisation proche du SEL au Mali. Rôle de l’Église dans le développement, partenariat Nord / Sud, responsabilité face à la pauvreté.

Kossi Agbo travaille pour Tearfund (organisation chrétienne proche du SEL) au Mali. Il nous parle du rôle de l’Église dans le développement, nous communique une vision du partenariat entre chrétiens du Nord et du Sud et une conception originale de notre responsabilité face à la pauvreté dans le monde.

Quel est le rôle de l’Église pour le développement dans un pays comme le Mali où elle est minoritaire ?

L’Église a un rôle très important à jouer. C’est encore plus le cas là où les chrétiens sont minoritaires. Au Mali, il y a peut-être 2,5 à 3% de chrétiens. L’Église a toujours vécu en bonne entente avec la majorité de la population et a toujours été respectée. Elle peut faire beaucoup de choses, mais il faut qu’elle comprenne qui elle est et quel est son rôle.

L’une des choses importantes que fait l’Église est de prêcher la Parole de Dieu, mais je pense qu’elle doit aller au-delà. La mission ne doit pas se limiter au fait de propager la Bonne Nouvelle. Il y a une part de vécu qu’on ne voit pas encore au niveau de l’Église. L’Église est le sel et la lumière du monde : il faut l’amener à comprendre ce rôle-là et à se réveiller.

On parle souvent aujourd’hui de « partenariat » entre le Nord et le Sud. Pour vous que serait une relation de partenariat saine entre chrétiens des pays du Nord et chrétiens des pays du Sud ?

Le sujet du partenariat est complexe. Mais la réalité dont il s’agit est simple : nous sommes partenaires parce que je peux apporter quelque chose et que l’autre aussi peut apporter quelque chose. Nous mettons nos forces ensemble pour atténuer nos faiblesses et être plus forts.

Est-ce que cela correspond à ce qu’on appelle « partenariat » aujourd’hui ?

On entend beaucoup parler de « partenariat »… mais la réalité ne suit pas. Par exemple dans les relations Nord / Sud, beaucoup de choses que l’on nomme « partenariats de coopération » ne méritent pas le nom de « partenariat ». Malgré beaucoup d’évolutions et d’inventions sur ce thème, le résultat reste semblable : c’est une relation qui se dit en termes de donner et de recevoir. Il n’y a pas vraiment d’appui, ni de co-construction ou d’apprentissage en commun.

Les vrais partenaires, ce sont ceux qui cheminent ensemble, qui apprennent ensemble, qui tombent ensemble, qui se relèvent ensemble et qui se construisent ainsi.

Il faut rendre plus dynamique la relation et qu’elle ne soit pas seulement une relation de donner et de recevoir dans laquelle le partenaire du Sud s’attende seulement à recevoir de l’argent. Quand on veut élaborer une stratégie, il faut le faire avec les partenaires pour qu’à la fin du processus, ils sentent que c’est leur construction, qu’ils en sont aussi propriétaires et responsables.

À Tearfund, vous encouragez un processus de mobilisation de l’Église et de la communauté. Ce serait un exemple de partenariat ?

Au niveau de la mission intégrale ou de l’engagement chrétien dans le monde, nous pouvons peut-être faire la différence. Le processus de mobilisation de l’Église et de la communauté (PMEC) est un bon partenariat parce qu’il donne la possibilité à l’Église de se renforcer, parce qu’il n’est pas imposé. Nous avons des outils, nous partageons une vision et si les gens veulent s’engager, ils le font.

La plupart du temps, on attend qu’une ONG mette de l’argent sur la table. Ici, c’est exactement le contraire. La richesse dont l’Église a besoin pour se développer, pour s’engager et œuvrer au développement de sa communauté, elle l’a déjà ! Il faut l’amener à la découvrir.

C’est plus difficile et les débuts sont très compliqués. Mais avec le PMEC tout doit se faire avec les capacités et les ressources locales. Les solutions sont là. Aujourd’hui, on a une petite Église au Mali qui a commencé le PMEC il y a trois ans environ : c’est incroyable ! L’Église est réveillée, elle est dans la communauté et a commencé un petit groupement de femmes. Au bout de trois mois, des femmes du voisinage sont venues pour leur dire : ce que vous faites est si bien ! Apprenez-nous à le faire aussi ! Pouvons-nous intégrer ce que vous faites ?

L’Église en Afrique a toujours tenu ce discours : « Nous sommes pauvres. Nous n’avons rien. » Pourtant, elle a beaucoup de ressources. Le premier capital, c’est en effet le capital humain et on a cela dans toutes les Églises. Est-ce que l’Église arrive à mobiliser et à associer ceux de ses membres qui peuvent faire progresser les choses ?

Face à la pauvreté dans les pays du Sud, qu’est-ce que les chrétiens des pays du Nord sont responsables de faire ?

Qu’on prenne un chrétien du Nord, du Sud, de l’Est ou de l’Ouest, il y a quelque chose d’essentiel qui nous unit : c’est la Parole de Dieu. Nous sommes des maillons d’une chaîne : il y a donc une forme de solidarité que nous devons cultiver. Je pense que nous le faisons déjà à plusieurs niveaux, mais nous pouvons renforcer cette solidarité entre tous les chrétiens du monde entier. Je ne vois même pas cela comme étant quelque chose de « Nord / Sud ». Nous sommes des chrétiens et nous sommes donc appelés à être solidaires sur toutes les questions.

Prenons un exemple : la situation au Mali. Si on pense au rôle de l’Église dans cette situation, il ne faut pas seulement penser à l’Église malienne, mais à l’Église partout dans le monde. Il nous faut des partenariats plus dynamiques, créer des cadres d’apprentissage, d’échanges, etc. entre les différentes Églises.

Vous semblez dire que c’est la solidarité des chrétiens entre eux qui va permettre de toucher la société ou le pays plus largement…

Oui. Je pense que c’est effectivement la base, le fondement. On peut multiplier les actions de plaidoyer, faire beaucoup de bruit à un haut niveau : mais tant que les individus eux-mêmes n’ont pas compris que c’est un engagement, que c’est un appel, on peut perdre beaucoup de temps.

Cela veut-il dire que l’engagement des chrétiens dans la société passe d’abord par la solidarité des chrétiens entre eux, le renforcement de leur lien ?

Oui, c’est important. Pour revenir au cas du Mali : l’Église du Mali aujourd’hui est beaucoup plus écoutée parce qu’elle est en train de construire son unité.

D’abord entre nous. Si on le fait et on le réussit, le monde verra !

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  • Une interview du théologien et sociologue ivoirien Rubin Pohor en trois volets :
  1. Il faut lutter contre la pauvreté pour restaurer la dignité de l’être humain !
  2. Il ne faut pas dissocier évangélisation et engagement social !
  3. Dans la lutte contre la pauvreté, les communautés du Sud peuvent aussi soutenir celles du Nord !
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Daniel Hillion
Directeur des études au SEL