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« Deux valent mieux qu’un » – Une vision biblique de l’entraide

L’entraide semble avoir une place importante dans la Bible, mais pourquoi ? Partons à la découverte de ce que Dieu veut nous apprendre à travers la mise en pratique de ce concept…

Le livre de l’Ecclésiaste contient un passage qui touche au thème de l’entraide :

Deux valent mieux qu’un, parce qu’ils ont un bon salaire de leur peine. Car, s’ils tombent, l’un relève son compagnon ; mais malheur à celui qui est seul et qui tombe, sans avoir un second pour le relever ! De même, si l’on se couche à deux, on a chaud ; mais celui qui est seul, comment se réchauffera-t-il ? Si quelqu’un maîtrise un (homme) seul, deux peuvent lui résister, la corde à trois brins ne se rompt pas vite. (4.9-12)

Un garde-fou face au péché

Ces paroles reflètent une expérience que nous pouvons tous faire ou observer : ensemble on est plus forts, on peut se secourir l’un l’autre à tour de rôle et parvenir à un résultat intéressant pour chacun (tirer un bon salaire de sa peine). L’aide et le soutien mutuels permettent d’autant mieux d’aller de l’avant que le monde est souvent hostile et froid. À l’inverse là où l’entraide est absente, le malheur menace en cas de problème. Tant que tout va bien, on peut avancer seul mais il faut être sûr d’être capable de ne jamais tomber. Qui peut se vanter d’une telle certitude ?

S’agit-il seulement d’une question de bon sens ou le sujet engage-t-il aussi notre vie spirituelle ? Dans le contexte, l’Ecclésiaste a fait remarquer que « toute peine » et que « tout succès d’une œuvre ne sont que jalousie de l’homme à l’égard de son prochain » (verset 4)[1]. Cette attitude marquée par la « vanité » et la « poursuite du vent » s’oppose au tableau d’entraide des versets 9 à 12. Celui qui cherche à réussir tout seul et qui se consume dans la jalousie à l’égard de celui qui se débrouille mieux que lui est certainement en décalage avec la volonté de Dieu. Ce qu’il fait n’est pas seulement une question d’immaturité mais de péché.

Un mécanisme voulu par Dieu

Allons un peu plus loin : une approche théologique de l’entraide devrait nous conduire à dire que Dieu nous a créés pour que nous « fonctionnions » ensemble dans l’organisation de la vie humaine. Il ne s’agit pas de quelque chose qui serait lié aux nécessités introduites dans le monde par le péché. Dieu nous a voulus dépendants de lui mais aussi les uns des autres. Et quand Jésus envoie les soixante-dix en mission, il les met deux à deux (Luc 10.1). Dieu ne nous a pas seulement donné des commandements auxquels obéir : il veut aussi canaliser nos actions dans une direction commune. Même à un niveau modeste (le texte de l’Ecclésiaste commence par parler tout simplement de deux personnes qui valent mieux qu’une), l’ouverture sérieuse à une démarche d’entraide reflète quelque chose du genre de créatures que Dieu a voulu faire de nous. S’il en est ainsi, c’est parce que les personnes humaines sont faites pour être connectées les unes aux autres par des relations marquées par la recherche du bien de l’autre et ultimement par l’amour.

Il s’agit d’accepter qu’il y a quelque chose à accomplir à deux (ou plus) qui va au-delà de ce que chacun pourrait réaliser individuellement. On n’est pas loin de l’idée de partenariat[2]. Dans une société idéale (et dans une Église idéale !), il y aurait multiplication des fonctionnements et des réseaux d’entraide à tous les niveaux. Mais même dans le monde tel qu’il est, où l’égoïsme et la jalousie prévalent trop souvent, la démarche a fait ses preuves et si des personnes en situation de précarité sont mises en capacité de vivre ce type de solidarité dans le cadre d’une activité génératrice de revenus, on peut gager que les perspectives seront prometteuses.

Apprendre à donner et à recevoir

Plus profondément encore, une vie vécue dans l’entraide représente une réponse à et un reflet approprié de notre situation réelle devant Dieu : il nous faut apprendre à recevoir de l’aide, à ne pas nous prétendre autosuffisants devant notre prochain parce que nous ne le sommes pas devant Dieu. Mais nous devons aussi partager et mettre au service des autres ce que nous avons reçu, ne pas cacher notre talent dans la terre. La rencontre avec Jésus a le potentiel de façonner une telle mentalité d’entraide : elle rend libre pour donner mais aussi pour avoir la simplicité d’accepter du renfort. Sous l’autorité du seul Seigneur nous pouvons jouer notre rôle tout en valorisant l’apport d’autrui. Personne n’est fait uniquement pour donner ou uniquement pour recevoir.

L’Église devrait être, au sein de la société, un modèle de société qui vit l’entraide. N’est-ce pas ce que nous dit l’image du corps et les nombreuses expressions de réciprocité formulées à l’aide des mots « les uns les autres » ? Quand nous prenons cette solidarité mutuelle au sérieux, il arrivera souvent que les conséquences positives dépasseront les limites de nos églises.

Peut-on aller encore au-delà et discerner quelque chose qui relève de l’entraide dans ce que la Bible nous dit de Jésus lui-même ? Blaise Pascal a écrit quelques lignes qui méritent d’arrêter notre attention dans un texte intitulé Le mystère de Jésus. Il y médite sur les textes du jardin de Gethsémané en ces termes : « Jésus cherche de la compagnie et du soulagement de la part des hommes. Cela est unique en toute sa vie, ce me semble. Mais il n’en reçoit point, car ses disciples dorment. » Celui qui a aidé, cherche-t-il de l’aide ? Il demande en tout cas à Pierre, Jacques et Jean de veiller avec lui au moment de la plus grande tristesse. Ce sont au moins autant les paroles d’un ami à ses amis que d’un maître à ses disciples. Jésus, pleinement Dieu et pleinement homme, est entré avec les humains dans une relation qui compte vraiment pour lui. Est-ce que cela ne peut pas aussi nous faire réfléchir au prix réel de l’entraide ? Apprenons à vivre avec ceux que Dieu place sur notre chemin des relations qui comptent !

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[1] Ce point est relevé par Sylvain Romerowski, Pour apprendre à vivre la vie telle qu’elle est, À l’écoute du Qohéleth (l’Ecclésiaste), Nogent-sur-Marne, Éditions de l’Institut Biblique, 2009, p.232.

[2] Je me suis d’ailleurs inspiré pour ma formulation d’une définition du partenariat proposée par Compassion International.

En savoir plus sur l'auteur
Daniel Hillion
Directeur des études au SEL